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petite encyclopédie de l'urgence

Les Dix commandements de l’interne

dix commandements tables de la Loi

Le chef de service n’est pas satisfait de la tenue des dossiers par ses subordonnés

Rien à voir avec les 10 commandements de l’armée d’Orient (quoique). A l’occasion du renouvellement des internes et donc de la prise de fonction des nouveaux internes le 3 novembre, voici quelques petites réflexions concernant le début de la véritable activité médicale à l’hôpital.

En fait c’est surtout un post facile qui me permet d’alimenter le site sans trop me casser le tronc, mais vu que ça marche en général mieux (cf Rentrée) que des sujets un peu ardus comme insuffisance rénale et Crohn qui comparativement ont fait un bide, je ne vois pas pourquoi je me tuerai à la tâche.

Encore une fois félicitations pour votre brillant classement à l’ECN (Examen National Classant) et donc votre prise de fonction en tant que véritable acteur de la santé publique, fantassins de la médecine moderne (ou pas plus que ça suivant votre parachutage en stage).
Je parle de début réel, parce qu’étant étudiant hospitalier, pardon externe, on ne bosse pas vraiment. Il n’y a que les filles externes qui arrivent parfois à faire croire qu’elles font un vrai travail dans un service. En général, les étudiants subissent le stage plutôt qu’ils n’en tirent un bénéfice pour l’avenir. Du coup ils se vengent en allant pas en cour … c’est d’une logique implacable … Du calme, les enfants, je ne dis pas que l’externat c’est plaisant, et que parfois ça ne demande pas de travailler aussi. Mais vu du côté travail fourni, apportant quelque chose à la collectivité et surtout aux patients, à part faire quelques gaz du sang (on peut se demander le bienfait pour le patient d’ailleurs …) et des ponctions d’ascite, c’est pas le Nirvana.

Donc, étant interne, les choses commencent pour de vrai. A partir du moment où il faut prescrire quelque chose, forcément ça change la donne. Certains auront pendant leur deux derniers trimestres fait un peu d’internat avant l’heure, en étant FFI (faisant fonction d’interne, j’espère que l’expression existe encore sinon ça fait vraiment ancêtre). Ce qui n’est pas une mauvaise chose mais personnellement je ne l’ai pas fait. Bénéficiant d’un stage en psy et en radiologie pour les derniers 6 mois de ma vie étudiante, j’avais bien envie d’en profiter et je ne voyais pas vraiment l’intérêt d’aller turbiner comme un chien dans un service de médecine en périph (et encore pire une surspé au CHU).

N’étant plus interne et plutôt que de donner des conseils trop paternalistes, de ressortir les histoires de chasse, je me suis essayé à un petit rappel sous forme de listes de ce que je n’aimais pas chez les internes à différentes périodes de mon activité.

Ce que je n’aimais pas chez les internes quand j’étais externe

le rapport avec les étudiants est inexistant

Type « tu es plus jeune, tu ne sers à rien d’autre que ranger les dossiers et faire en sorte que je ne me fasse pas trop engueuler par le chef à la visite, et si ça arrive je t’engueulerai à mon tour en une sorte de chaîne alimentaire ». Evidemment c’est désagréable, et on apprend strictement rien. Parfois malheureusement, ce n’est pas par réelle mauvaise volonté mais pas mal de médecins n’ont pas de vocation d’enseignement aux plus jeunes, et donc préfèrent ne pas tenir ce rôle (dommage parce que les chefs n’ayant pas le temps et/ou pas l’envie personne ne le tiendra) ou sont tellement stressés en début d’internat qu’ils n’apportent rien aux étudiants que leur communiquer ce stress.

le rapport avec les étudiants est étouffant

Type « alors je sais bien qu’il est 8h, que tu n’as pas bcp dormi mais donne moi la liste des 10 étiologies possibles d’altération de l’état général » (une question inventée par l’interne comme étant géniale et à laquelle les réponses sont infinies). L’interne qui est persuadé d’avoir une mission d’éduquer l’étudiant et qui s’embrouille dans son discours (sans s’en rendre compte), qui est capable de vous féliciter pour des trucs qui ne le méritent pas type faux encouragements, et surtout de vous engueuler pour des broutilles « bon dieu mais tu le sais bien que c’est vital d’avoir la CRP ! » « oui mais le labo dit que c’est toujours en cours » « bah rappelle les ! ». J’ai eu une interne dans ce style et c’était pas génial, elle ne m’a strictement rien appris (peut être que j’ai fait de la résistance dans l’autre sens aussi). Me suis toujours demandé si ces internes là avaient eu des internes comme elles/eux quand ils étaient externes.

quand les internes sont absents

Pour une journée de formation, ou pendant les vacances et que le chef doit faire le tour. Il engage l’étudiant pour le suivre mais n’arrive pas à valoriser son rôle, essaie de faire de la pédagogie qu’il n’a pas fait depuis 3 mois sans y arriver, ou pire te considère comme le substitut de l’interne sous prétexte que tu le seras un jour sauf que tu n’y es pas encore tout à fait. Ces jours là tu ne sais pas trop ce que tu es, c’est perturbant.

Ce que je n’aimais pas chez mes co-internes

les super-spécialistes

Toi tu galères comme un veau, ton début d’internat est d’une pénibilité monstrueuse et eux s’éclatent dans un service où ils sont totalement intégrés, on leur a déjà promis que leur thèse ça serait fingers in the nose (vraiment dégueulasse de faire ça à la soutenance je vous le déconseille). Tu commences à avoir un nombre non négligeable d’échecs sur tes ponctions lombaires que tu réussissais étant externe que eux posent des accès veineux centraux d’une seule main. Les déjeuners à l’internat ils parlent des prises en charge comme s’ils avaient 10 ans de pratique derrière eux. Ca s’épanouit dans son travail, … bref c’est très énervant (et aussi souvent pas très crédible).

les branleurs

Horaires de travail aménagés, après midi libres fréquentes, commencent bien plus tard que toi le matin, les premiers à l’internat le midi, les derniers à en partir, présents à chaque « tonus » parce qu’ils n’ont pas l’astreinte le lendemain, gardes choisies sélectives, traitement de faveur par la chefferie … Super potes avec tout le monde, y compris l’équipe infirmière, alors que vous vous sentez bien qu’on vous tolère juste.
On ne sait pas s’ils sont bons ou mauvais, d’ailleurs c’est pas ce qu’on leur demande. D’ailleurs on ne leur demande rien.

l’interne en sacerdoce

Toi tu essaies de bien faire ton boulot, d’avoir de l’empathie, d’être correct, mais ton/ta co-interne est meilleur(e) que toi parce qu’il/elle vit ce que le patient subit. Il/elle subit le drame intérieur de la personne et peut donc mieux compatir avec le patient (qui parfois n’a rien demandé d’ailleurs, et parfois aussi n’est plus trop en état de se rendre compte ce qui se passe). Situation qui à force te faire ressentir comme quelqu’un de froid et qui n’en a rien à foutre des gens si jamais tu espères te barrer à l’heure le vendredi soir et non plus stagner dans le service comme un fantôme jusqu’à 22h.
Interne qui tient souvent la main des gens pendant 1 heure (mais qui n’a pas souvent pas fait le tour des autres patients et que tu dois faire à sa place). Décrit par quelques familles très demandeuses comme « tellement gentil ». Veut souvent faire de la médecine générale pour être vraiment au service des gens, parce que l’hôpital c’est trop méchant.
Avant avait lu tous les livres d’un médecin à la retraite professionnelle depuis longtemps. Maintenant lit régulièrement les blogs de jeunes généralistes qui trouvent que 20 patients par jour c’est pas humain.

Ce que je n’aime(rai) pas chez mes futurs internes

Petite précision, je ne bosse pas avec des internes, pas que je ne veuille pas, mais on en a pas. Il est régulièrement question d’en avoir, je pense que ce n’est pas une bonne idée. Pour moi, parce que pour des questions de responsabilité, on serait obligé de faire une sorte de double consultation à chaque fois. Pour eux, parce qu’ils ne vont pas avoir grand chose à apprendre (et cette fausse supervision en fin d’internat est plus que pénible).

le fayot

L’interne corvéable à souhait, plus on lui donne de boulot et plus il/elle est content(e). Rajouter une présentation à l’arrache pour le staff de 8h le lendemain alors qu’il est 22h et d’astreinte ? Mais pas de problèmes patron, avec plaisir, d’ailleurs j’avais déjà préparé un brouillon pour ce sujet. Et celui là aussi, et celui là …
L’interne fayot est aussi celui qui peut être le premier à semer la zizanie dans un service pour servir au mieux ses intérêts, on le rebaptise alors « Stratège Koh Lanta ».

le zombi

Il y a le zombi absent et le zombi présent. Pas à l’heure le matin, ni le midi, curieusement plus là depuis un moment le soir, enfin la fin d’après midi. Quand il y a une réa, bah c’est à toi et un peu qui tu as sous la main, parce qu’il n’est jamais là. Remarquez il serait là, il risquerait d’arracher les câbles en se prenant les pieds dedans. Bref il ne sert à rien. Parfois d’ailleurs on ne comprend pas ce qu’il dit, sa logique diagnostique est assez floue, et ses prescriptions n’en parlons pas. Parfois il n’est jamais là, parfois il est là tout le temps, mais il encombre le couloir plutôt qu’autre chose.
Il existe une autre variété, le « zombi oenolique » parce que le jour il n’est pas fonctionnel, mais la nuit en bar et boîtes c’est le meilleur. Sauf que le taf n’est pas là pour ça. Vous pensez que j’invente ? J’en ai connu des internes qui se faisaient régulièrement porter pâle pour cause de gueule de bois, et à qui curieusement ça n’a jamais porté préjudice dans leur cursus.
Il y a enfin le zombi, ou devrais je dire zonbi en référence avec l’étymologie originelle haïtienne, donc le « zombi par procuration » qui se retrouve dans cette position là parce que sa maîtrise de la langue française est très approximative. En général ils vont s’adapter remarquablement vite, mais leur début est probablement un calvaire (surtout dans une région à fort accent incompréhensible même par les natifs du coin). Malheureusement parfois, cet interne ou FFI reste quelqu’un de mis à l’écart, dont on revérifie les prescriptions parce qu’il y a des erreurs et où finalement tout le monde est bien content que la fin du semestre approche. C’est pas sympa, c’est raciste, mais malheureusement ça existe. Tous les FFI ne sont pas aussi talentueux et plein de merveilleuses qualités humaines que le personnage de Reda Kateb dans le bien démagogique film Hippocrate. Il y en a plein qui s’en sortent très honorablement et qui deviennent même des piliers, qui reprennent des gardes au pied levé, j’en ai connu et ceux là se faisaient vraiment exploiter. Mais j’en ai connu comme je viens de décrire, où être son externe/co-interne/chef est un supplice.
Supplice souvent renforcé par le fait que la hierarchie fait comme si le problème n’existait pas et personne ne cherche à le reprendre en mains pour vraiment le former.

l’interne doué

 Je crois que ça c’est le pire modèle : il/elle (je vais arrêter de mettre des il elle partout pour l’égalité c’est chiant), donc IL bosse bien, il a de l’empathie ni trop ni trop peu, il fait parfois des extra sans faire ça spécialement pour sa carrière, ses prescriptions sonnent juste, sa réflexion n’est pas trop pourrie, en plus il est cool et marrant, s’il était célibataire … A réussi à diagnostiquer devant de légères nausées et une hyponatrémie un cancer bronchique à petites cellules, alors que vous vous prescriviez encore du Motilium (bah oui pas eu le temps de lire Prescrire). Il a lu récemment que mettre systématiquement de l’oxygène dans l’infarctus c’était problématique alors que vous vous continuez à prescrire 6 l à toute décompensation de BPCO. Il a même des connaissances en Histoire de la médecine parce que ça le passionne alors que pour vous Hippocrate, c’est juste le film qui a fait le buzz récemment.
Donc l’interne idéal, doué, peut être trop même, qui fera un bon médecin. Non pire, qui est déjà un bon médecin. Ca devient louche. Ou en tous cas il faut faire en sorte de lui trouver très vite un défaut des fois que le grand chef décide de lui offrir votre poste après la fin de son internat …

Bref

Je n’ai pas de conseils magiques à donner, je n’en ai pas et je n’ai pas à le faire. Je peux juste donner quelques petites réflexions parce qu’après tout j’ai été un étudiant, un interne et un senior. Je ne voulais pas spécialement faire cette note mais quelques petites expériences récentes m’ont fait réfléchir :

J’ai reçu quelques transferts pourris de la part d’internes. Je ne critique pas j’en ai fait étant interne et j’en fais encore aujourd’hui parce que l’activité de l’urgence fait que malgré toutes les bonnes volontés, les situations nous échappent beaucoup et aucune prise en charge ne peut prétendre approcher la perfection. J’en ai reçu aussi de la part de seniors mais je n’en parle pas, parce que je pense que pour eux, il est trop tard, c’est leur façon de fonctionner, ils ne changeront pas, parce qu’ils ne veulent pas changer. Alors qu’on peut espérer que pour ces internes, c’était lié au balbutiement du début d’activité.

  • Si vous avez à communiquer indirectement avec un autre médecin, donnez votre nom, présentez vous (attention pas dans le style des étudiants infirmiers qui répètent leur phrase d’introduction comme un message de répondeur), écrivez le lisiblement, pas seulement une croix sur une lettre qui comporte 20 000 noms des praticiens du service (dont la moitié n’exerce plus d’ailleurs). N’ayez pas peur de vous faire péter les jambes si vous faites une connerie. Avec une signature illisible si vous avez fait une connerie on vous retrouvera quand même, et on fera de la purée de vos tibias de toutes façons … Mais au moins vous jouez franc jeu
  • Si vous êtes dans la situation inverse, où vous recevez potentiellement un patient, descendez de ce piédestal improvisé, surtout quand vous n’avez pas fini vos études. Car oui, interne, vous n’avez pas fini vos études. Vous ne savez pas les conditions d’exercice de l’autre au bout du fil. J’ai vu un chirurgien d’expérience gérer un transfert improbable avec un grand CH, se faire humilier au téléphone par un interne de médecine, se faire coincer certes sur une question certes basique mais à mon avis il y avait moyen de faire autrement. Pour au final un patient qu’ils ne pouvaient pas ne pas prendre, tellement ça coulait de source. Avoir un peu de pouvoir rend les gens très très cons
  • N’en faites pas des tonnes avec 1 patient, généralement vous en avez 29 autres à soigner. Essayez de bien soigner tout le monde, pas de favoritisme. N’essayez pas de sauver quelqu’un pour qui on ne peut pas faire de miracles. Et si vous essayez, en tous cas, ne le faites pas seul, vous n’y arriverez pas et vous le vivrez très mal.
  • Essayez de ne pas vous surspécialisez dès le 1er mois de stage. Les services actuels n’aident pas trop à ça, c’est vrai, mais vous risquez de voir un peu n’importe quoi comme pathologie, même si le recrutement du service est très ciblé. Ne cédez pas à la tentation de penser que parce que vous avez validé votre 2ème semestre, c’est bon vous gérez, les autres années pff ce que c’est long. Surtout quand la veille du changement de stage vous consultiez encore fébrilement le Ellrodt, le Perlemuter, le Dorosz, le Vidal (non personne ne fait ça), le Godeau (un peu présomptueux peut être), le Harrison (vous vous la pétez carrément là)

Voilà, c’est pas simple d’être interne. On patauge un peu (beaucoup) au début (à la fin encore un peu), on est pas très bien considéré. Les patients (âgés) sont en général tolérants avec nous, même si ce « ils sont jeunes il faut bien qu’ils apprennent » est un peu agaçant, il vaut mieux que l’exigence et l’intolérance de certaines familles et adultes pressés qui veulent un « vrai » praticien et pas un en cours de formation. Souvent pour une rhinopharyngite d’ailleurs et pas pour le choc septique qu’ils décrivaient à l’entrée. On souhaiterait être bien encadrés du début à la fin, on se rend compte que même les chefs bien intentionnés n’ont pas le temps ni forcément toujours l’énergie de le faire. Et que les mauvais chefs sont encore très nombreux. Et paradoxalement on veut de l’indépendance, ne pas être trop maternés parce qu’on est déjà médecins quoi merde ! Mais sans vouloir assumer toute la responsabilité de tout non plus …

Pas facile vous disais je. On comprend pourquoi nombre d’entre nous se réfugient dans l’alcool.

Et pour toutes ces raisons, écueils  et caricatures à éviter, je vous souhaite bonne chance et vous dis MERDE, les enfants.

2 commentaires sur “Les Dix commandements de l’interne

  1. il/elle du Maine
    8 décembre 2014

    C’est très bien, je n’aurais pas dit mieux.
    Puisque c’est comme ça, on va lire « insuffisance rénale » et « Crohn », on n’est pas des rats, on a reçu une éducation, merde, quoi !

    • Tom O'Graphy
      9 décembre 2014

      Maintenant il y a 4 articles de plus à lire … (+ des micro mises à jour sur de vieux articles pour leur donner plus de visuels).
      Il serait intéressant aussi d’avoir le retour des internes à 1 mois de leur prise de fonction

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Cette entrée a été publiée le 1 novembre 2014 par dans Actualités, et est taguée , , , .

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