tamponnement per-opératoire d’une lacération hépatique au moyen d’un ballon monté sur une sonde de Foley
Premier pourvoyeur d’hémopéritoine traumatique après les lésions de la rate, tout simplement parce que le foie est beaucoup plus volumineux et qu’il est très friable également. C’est un organe très vascularisé avec des connections vasculaires larges, qui reçoit son alimentation artérielle par l’artère hépatique, branche du tronc coeliaque (donc gros débit artériel), et qui reçoit par la veine porte tout le sang venant des intestins pour pouvoir le filtrer. En arrière il est connecté par les veines sus-hépatique à la veine cave inférieure.
Le foie est situé dans l’hypochondre droit dont il déborde assez largement chez la plupart des individus même en l’absence d’hépatomégalie. Du foie il y en a en gros une bonne partie sous les dernières côtes droites, puisque la coupole diaphragmatique droite remonte jusqu’au niveau du 4ème espace intercostal. D’avant en arrière il occupe aussi tout cet espace, puisque le rein droit lui est postérieur mais aussi légèrement inférieur. Il peut déborder l’auvent costal légèrement, et au niveau de l’épigastre puisque certains individus ont une hypertrophie du lobe gauche. Bref tout ceci pour dire que plus l’étendue est importante plus le risque traumatique est conséquent.
On détaillera surtout ici les lésions fermées lors de contusions de l’abdomen. En cas de lésions ouvertes par plaies par arme blanche et encore plus par armes à feu, les investigations se retrouvent vite dans l’impasse et l’indication chirurgicale est alors très large.
Principalement sur la circonstance de survenue : choc direct ou chute contre l’hypochondre droit, flanc droit, épigastre voire la base de l’hémithorax droit ; à suspecter de principe dans un polytraumatisme. Les lésions par décélération brutale sont aussi à l’origine de lésions graves alors qu’il n’y a quasiment pas de symptômes extérieurs observables, elles vont produire des lacérations dans les plans des ligaments qui amarrent le foie alors que les chocs directs vont produire des contusions et des fractures parenchymateuses.
Les symptômes sont très variables, d’une douleur abdominale isolée et localisée à la zone d’impact +/- avec une marque cutanée, une ecchymose locale, jusqu’au tableau péritonéal complet et au choc hémorragique. De fait l’abdomen peut présenter une défense localisée, une contracture, un météorisme sus-jacent avec matité déclive, voire une expansion à vue d’oeil de l’abdomen si un syndrome compartimental est en train de se développer.
Les analyses biologiques ne sont pas contributives ni au diagnostic positif ni au diagnostic différentiel.
La NFS va être en retard dans la spoliation sanguine liée aux hématomes, on ne peut pas tellement se baser sur elle. Mais on en a besoin dans le suivi de la déglobulisation, il y aura donc besoin de plusieurs NFS de surveillance, ainsi que d’un groupage, Rh, RAI et d’un bilan de coagulation, en particulier en cas de traitement anticoagulant type AVK, en ce qui concerne les ACO le bilan de coagulation est perturbé dans des proportions variables et n’est plus réellement interprétable. Une fibrinolyse et une hypofibrinogénémie ne surviennent que pour les traumatismes les plus graves.
Le foie « médical » aigu s’évalue toujours par un « bilan hépatique », expression qui désigne un ensemble de dosages qui cherche à retrouver une cytolyse par l’élévation des transaminases TGO/TGP ou ASAT/ALAT, une cholestase par l’élévation des gGT, des phosphatases alcalines, et de la bilirubine. Les perturbations du BH n’ont pas automatiquement une signification de lésion hépatique directe, mais peuvent être indirectes en cas d’atteinte biliaire extra-hépatique mais avec retentissement hépatique, ou de lésion en aval en cas de foie cardiaque par exemple. Dans le contexte traumatique, les perturbations observables n’ont pas de valeur diagnostique ni pronostique. Si on peut s’attendre à un BH très perturbé en cas de lésion grave, elles n’en font pas le pronostic non plus. Il ne faut pas compter sur la normalité d’un BH dans une suspicion faible de lésion hépatique traumatique pour éliminer cette lésion. C’est valable aussi pour une lésion des voies biliaires.
Les complications outre le syndrome hémorragique comprennent le sepsis par rupture d’organe creux associé, pancréatite, par translocation bactérienne après ischémie, un syndrome compartimental, une insuffisance hépatique aiguë, l’embolie graisseuse, un syndrome péritonéal par cholépéritoine qui mime un sepsis souvent entre J2 et J5.
Radiographie d’abdomen sans préparation sans valeur pour l’exploration des traumatismes des parenchymes. Même la visualisation du pneumopéritoine pour les lésions des viscères creux peut être prise en défaut (d’autant plus en position couchée).
Elle peut montrer un iléus réactionnel à une lésion hépatique, non spécifique. L’hémopéritoine est très mal visualisé sur ces clichés même quand il est conséquent.
Pierre angulaire de l’évaluation initiale des polytraumatisés pour la partie abdominale et thoracique, son intégration dans les services d’urgence a été faite historiquement dans l’évaluation de l’hémopéritoine traumatique, c’est la FAST ultrasound (Focus assessment sonography for trauma). Détectable pour de faibles quantités, l’échographie pourrait presque en cas de négativité éliminer un hémopéritoine traumatique, en tous cas si le tableau clinique n’est pas inquiétant et le scanner pas disponible rapidement, une écho FAST négative peut être suffisante à la phase initiale (je ne dis pas qu’elle permet de relâcher le patient dans la nature à elle seule non plus).
L’évaluation des parenchymes est plus complexe et sort du registre de la compétence de l’urgentiste ou du réanimateur (mais il y a fort à parier dans les années à venir qu’il y ait un perfectionnement des appareils et des opérateurs). Le vrai problème c’est que le foie c’est grand et réussir à visualiser tous les segments, notamment en urgence c’est compliqué. Les voies biliaires sont peu visualisables correctement et on ne peut pas éliminer une lésion biliaire par la FAST, ni même correctement la suspecter.
L’hématome rétro-péritonéal n’est pas forcément simple à voir et peut correspondre à des lésions proches des veines sus-hépatiques.
En résumé la FAST immédiate est indispensable, et permet de gagner beaucoup de temps en évaluant la gravité, mais elle n’est pas suffisante. On n’envoie pas le patient suspect de lésion hépatique en échographie par le radiologue, c’est au mieux une perte de temps avec absence de réponse certaine, au pire une perte de temps et une situation dangereuse.
étude haute fréquence d’une lacération hépatique chez un enfant, difficile à voir en basse fréquence
Avec la disponibilité d’appareils très sophistiqués, c’est l’examen de référence pour visualiser l’hémopéritoine et la lésion hépatique et/ou biliaire associée. Cette évaluation peut être faite immédiatement sans FAST si le patient est stable cliniquement, elle fait l’inventaire des lésions (y compris en un temps s’il s’associe d’autres blessures) et permet de choisir l’option thérapeutique la mieux adaptée.
C’est un scanner avec injection de produit de contraste, généralement sans connaître la fonction rénale du patient ni le terrain allergique, puisque le temps d’injection artériel puis portal permet de repérer les fuites vasculaires et donc prédire l’évolutivité.
L’IRM n’est pas utile urgence (ni disponible, ni réellement sans danger du fait de la configuration en tunnel) mais peut être utile au suivi des lésions complexes notamment biliaires.
Grade |
Hématome |
Fracture ou lacération |
Lésion vasculaire |
I |
Sous-capsulaire < 10 % de la surface |
Capsulaire non hémorragique < 1 cm de profondeur |
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II |
Sous–capsulaire entre 10 et 50 % de la surface |
Parenchymateuse de 1 à 3 cm de profondeur, < 10 cm de longueur |
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III |
Sous – capsulaire rompu hémorragiques, ou > 50 % de la surface , ou expansif |
Parenchymateuse > 3 cm de profondeur |
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IV |
Parenchymateux rompu |
Parenchymateuse de 25 à 75% d’un lobe ou de 1 à 3 segments |
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V |
Parenchymateuse >75% d’un lobe |
Veine cave rétrohépatique ou veines sus-hépatiques centrales |
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VI |
Avulsion hépatique |
L’attitude moderne tend à réduire le nombre d’interventions chirurgicales au profit d’une surveillance armée. Elle implique un contrôle de l’imagerie écho/scanner au cours de l’évolution en hospitalisation, facilement en soins intensif dans une zone où l’intervention chirurgicale ou angiographique est possible rapidement.
Les conditions sont un patient hémodynamiquement stable ou qui a été rapidement stabilisé et l’absence d’autres lésions intra-abdominales. Le volume de l’hémopéritoine en lui-même n’est pas un argument décisionnel exclusif ni la classification anatomique des lésions nonplus. Globalement les stades 4 et 5 de la classification précédente sont des mauvais candidats au traitement conservateur.
La surveillance de la NFS permet d’anticiper la dégradation hémodynamique et la surveillance des plaquettes permet de sécuriser l’option de réintervention. Le bilan hépatique devient intéressant car il témoigne de la souffrance ischémique du foie. Le ionogramme et la fonction rénale sont importants ainsi que la glycémie car les hypoglycémies profondes sont fréquentes en cas de traumatisme grave. Le bilan de coagulation est fondamental, en particulier les facteurs et notamment le V synthétisé uniquement par le foie. En cas de baisse du TP < 50% c’est une des rares indications à la transfusion préventive de plasma.
La transfusion de fibrinogène et l’administration d’acide tranexamique s’impose en cas de trauma hépatique sévère avec fibrinolyse.
Le remplissage vasculaire doit rester prudent pour ne pas induire de dilution et donc d’hypocoagulabilité. La transfusion sanguine est facile avec un seuil à 8 g/dl, mais un seuil plus élevé chez le patient âgé ou coronarien.
L’antibioprophylaxie utilise un schéma amoxicilline-acide clavulanique ou céphalosporine de 2ème génération d’emblée en cas de chirurgie, maintenue 48h. L’apparition d’un syndrome septique fera utiliser d’autres antibiotiques à large spectre après prélèvements locaux sans attendre le résultat.
L’utilisation des anticoagulants sont à employer avec prudence après le premier jour si le geste a été définitif, et faire employer l’héparine à débit continu si il existe de lourds antécédents thrombo emboliques en cible croissante et arrêt immédiat si déglobulisation ou extériorisation de sang par les drains.
Coelioscopie ou laparotomie en fonction de la gravité et de l’étendue des lésions et surtout de l’état hémodynamique. Laparotomie en damage control immédiate si la situation est très compromise, visant l’hémostase immédiate, un retour en réanimation une fois le patient stabilisé et une réévaluation opératoire à quelques jours.
L’objectif de cette chirurgie immédiate est donc l’hémostase rapide et définitive, réduire les résections parenchymateuses à ce qui est nécessaire (même si la marche de manoeuvre est plus vaste que pour la rate), tout en évitant une ischémie longue (classiquement au-delà de 20 min).
Techniquement la manoeuvre de Pringle permet de clamper en masse le pédicule hépatique, ce qui en cas de persistance de saignement signe l’origine sus-hépatique. Le triple clampage qui associe au précédent le clampage de la veine cave en sus et sous hépatique peut être utilisé mais est à risque de désamorçage de la pompe cardiaque par arrêt du retour veineux.
Le tamponnement périhépatique ou packing avec des grandes compresses ou des champs abdominaux peut être laissé en place plusieurs jours. C’est une technique à utiliser si une transfusion massive est utilisée, car des troubles de coagulation sont susceptibles de se produire ce qui rendra l’hémostase sélective impossible. Il ne doit pas comprimer le retour veineux hépatique ni le retour cave ni l’alimentation pédiculaire du foie. Le packing aide à l’amélioration globale du patient choqué en jouant indirectement sur la cascade hypothermie-acidose-trouble de coagulation. De plus il donne du temps pour traiter d’autres lésions associées crânienne, thoracique, et permet d’attendre avant une résection hépatique qui ne semble pas idéale sur le moment.
Des systèmes de compression temporaire au ballon ou avec des sondes urinaires de Foley ont pu être utilisées notamment dans les blocs des pays en voie de développement où le matériel spécialisé manque cruellement.
La surveillance en post interventionnel est similaire à la surveillance armée non opératoire, en cas de packing la décroissance des enzymes hépatiques indique une récupération.
Peut être à visée diagnostique et/ou thérapeutique. Permet l’embolisation sélective par voie endovasculaire, celle ci ayant permis de réduire la mortalité des grades 4 et 5 en post chirurgie. Pour certains l’artériographie doit être systématique après un packing. Elle est le seul recours en cas de chirurgie impossible et permet un diagnostic de lésions chirurgicales.
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