Troisième substance illicite la plus consommée après le cannabis et l’ecstasy. L’usage n’est pas seulement entrant dans le cadre des addictions (polytoxicomanie) mais aussi récréatif et de ce fait pas toujours perçue comme dangereuse si consommée ponctuellement. Cause non négligeable de mort violente chez le sujet jeune avec fort risque d’infarctus du myocarde.
Sommaire
La cocaïne est un alcaloïde (benzoylméthylecgonine) préparée à partir des feuilles de la coca (Erythroxylum coca). Les feuilles de coca sont classiquement mâchées en Amérique du sud, pour entrainer une sensation de bien être. Son histoire en médecine est complexe puisqu’elle a été introduite comme médicament de façon temporaire comme anesthésique local et comme traitement de substitution dans l’addiction à l’héroïne (elle-même substitut à la morphine).
La forme qui circule de manière illégale, est une forme reconstituée et diffusée sous forme de poudre blanche (hydrochlorure) à sniffer, injecter (souvent associé à l’héroïne sous forme de speed ball) ou à faire chauffer et fumer en association à une base, sinon la dégradation se produit à haute température (crack), mais des prises par voies orales ou transmuqueuses existent aussi.
L’intoxication aigüe survient pour les injections intraveineuses, les prises inhalées répétées sur plusieurs jours (la voie pulmonaire diffusant très rapidement). La dose pour les prises récréatives est de l’ordre de 20 à 30 mg, une dose > 1 g est létale.
Le toxidrome adrénergique produit hypertension, mydriase, sueurs, tachycardie, hyperthermie.
Des conséquences cardiovasculaires graves peuvent se produire : infarctus du myocarde parfois tardif, qui n’a pas de signe spécifique de l’intoxication (éventuellement HVG), seul le contexte peut orienter. La plupart des SCA se produisent dans l’heure ou les 3 premières heures après l’ingestion, mais certains métabolites peuvent donner des manifestations retardées jusqu’à 4 jours. On peut observer aussi des troubles du rythme cardiaque ventriculaires ou de conduction, des dissections artérielles, des infarctus viscéraux, un choc cardiogénique, des cardiomyopathies de stress type Tako Tsubo inversé.
L’intoxication chronique entraîne des anomalies non spécifques de l’électrocardiogramme : une hypertrophie ventriculaire gauche, des troubles de repolarisation, un élargissement des QRS par effet stabilisant de membrane, des modifications du segment ST (parfois une élévation du segment ST en pseudo syndrome de Brugada) voire des ondes Q de nécrose. En intoxication aiguë, outre la tachycardie sinusale on peut voir un allongement de l’espace QT > 440 ms et des signes d’infarctus du myocarde. Ils sont souvent d’interprétation délicate car le contexte n’est pas toujours un syndrome coronarien aigu typique et la coronarographie est souvent normale (vasospasme coronaire). La cinétique de la troponine permet de confirmer un diagnostic sur une présentation atypique. Les arythmies ventriculaires font tout le danger de la situation.
Différentes complications vasculaires sont à craindre : dissections artérielles, dissection aortique, thrombose artérielle, …
En cas de traumatisme notamment sévère, l’intoxication à la cocaïne masque les complications vasculaires et crée un retard diagnostique au choc hémorragique.
Des ischémies mésentériques sont possibles, en particulier chez les transporteurs (body packers).
Les injections accidentelles en intra-artériel vont entrainer une ischémie aiguë.
Des conséquences neurologiques sont tout aussi sévères : accidents vasculaires cérébraux ischémiques mais aussi hémorragiques, convulsions, coma toxique, céphalées persistantes pouvant déjà témoigner d’un AVC à minima.
La ponction lombaire se discute pour éliminer une hémorragie méningée si le scanner cérébral revient normal mais avec suspicion clinique.
Sur le plan psychiatrique, l’intoxication aigüe s’accompagne fréquemment d’un état d’agitation avec délire paranoïde.
Il n’y a pas de dépression respiratoire avec la cocaïne, sauf si elle est absorbée avec un médicament, de l’alcool ou de l’héroïne. A noter que certains usagers utilisent fréquemment des sédatifs comme les benzodiazépines pour gérer leur fin de prise.
La forme inhalée du crack est redoutable car elle ajoute une toxicité respiratoire spécifique à type d’épanchements gazeux pleuraux et médiastinaux, d’oedème du poumon lésionnel, de bronchospasme, d’hémoptysie (extériorisation de sang venant de l’arbre respiratoire) sur lésions alvéolo-interstitielles voire de « crack lung » (pneumopathie immunoallergique précoce). De plus cette forme est peu coûteuse à fabriquer, étant une « cocaïne du pauvre » par opposition à la forme respirée en lignes, gardant une étiquette de drogue de riches.
Comme facteurs aggravants il y a aussi les produits chimiques pour « couper » la cocaïne (jusqu’à 80% du produit vendu) : quinine, amidon, anesthésique local, plomb, cyanure, … avec une toxicité très variable soit systématique soit lésionnelle pulmonaire et des effets cutanés avec le lévamisole (nécrose cutanée, purpura, …) et une neutropénie ; les intoxications associées : alcool, héroïne, autres drogues et médicaments sédatifs (benzodiazépines) …
Le test urinaire pour la cocaïne est fiable car il est sensible et spécifique. La cocaïne est éliminée dans les urines en 12 heures, mais il peut y avoir un délai plus long chez les gros consommateurs jusqu’à 72 heures.
Le test ELISA ne teste pas la cocaïne elle-même mais la benzoylecgonine, qui est détectable dans les urines en 2 heures après usage et reste détectable pendant 3 à 4 jours.
On a décrit des faux positifs après prise d’amoxicilline mais les études les plus récentes tendent à réfuter ce phénomène. Il n’y en a pas pour les autres substances à suffixe en -caïne (en particulier anesthésiques).
La prise en charge d’une intoxication aigüe s’oriente d’entrée de jeu sur une prise en charge d’agitation, cardiovasculaire ou neurologique mais on n’oubliera pas de vérifier au passage la créatinine, CPK, glycémie, numération plaquettaire et recherche d’autres toxiques. A distance il faudra envisager un bilan large de toxicomanie (prise en charge en addictologie, comportements à risque, sérologies virales).
Il n’y a pas d’antidote à l’intoxication par la cocaïne, ni de système spécifique d’élimination du toxique, ce ne sont que des traitements symptômatiques.
En cas de RCP, l’utilisation de l’adrénaline renforcera les effets adrenergiques déjà présents. La réanimation d’état de choc ou de détresse respiratoire n’est pas spécifique (oxygéne, intubation, sédation par midazolam, exceptionnellement curares non dépolarisants).
Un état de mal épileptique fera éviter le Dilantin car pro arythmogène, recourir au phénobarbital et thiopental si intubation.
La sédation par benzodiazépines est conseillée car anticonvulsivante, il faut réserver les neuroleptiques aux états d’agitation incontrôlables : diazépam 5 à 10 mg IVL renouvelable toutes les 5 min.
Les poussées hypertensives modérées bénéficient d’une sédation par benzodiazépines. Pour la baisse de la pression artérielle on peut comme dans toute poussée hypertensive faire appel à la nicardipine, mais souvent elle résiste aux inhibiteurs calciques. Les poussées sévères peuvent faire recourir aux dérivés nitrés ou au nitroprussiate mais pas aux bétabloquants. Les alpha-adrénergiques antagonistes comme la phentolamine sont efficaces sur la baisse tensionnelle et de plus réduisent la vasoconstriction coronaire, dose 1 mg IV sur 5 min.
L’hyperthermie maligne et la rhabdomyolyse se traitent par remplissage vasculaire avec des solutés cristalloïdes (Ringer lactate, sérum physiologique 9‰) exceptionnellement sous forme de choc à pallier à la phase initiale avec des colloïdes. Aucune des techniques de refroidissement n’a montré de supériorité, l’objectif étant d’abaisser la t° < 39° dans les 20 min, association au paracétamol comme antipyrétiques. L’utilisation du dantrolène n’est pas conseillée.
Contrairement à l’héroïne qui est quasiment toujours un tableau de détresse respiratoire par overdose, l’intoxication à la cocaïne est polymorphe, survenant pour des prises répétées, mais parfois plusieurs jours après (IDM), touchant de ce fait les toxicomanes dépendant aux utilisations intensives (et notamment les plus pauvres avec le crack).
Le syndrome coronarien aigu induit par la cocaïne est à traiter médicalement par aspirine, oxygène si besoin, morphine titrée, dérivés nitrés et utilisation de benzodiazépines. En seconde intention, un alpha-bloquant comme la phentolamine à dose de 1 mg sur 5 min en IV puis relai IVSE à dose de 1 à 10 mg/h.
Les béta-bloquants sont ici dangereux car risquant d’aggraver le vasospasme et il vaut mieux utiliser le labetalol ou les inhibiteurs calciques comme le verapamil.
La thrombolyse n’est pas indiquée, l’anticoagulation par l’aspirine n’étant déjà pas dénuée de risque dans ce contexte. C’est d’autant plus difficile qu’un SCA par intoxication à la cocaïne survient chez un sujet jeune, qu’on aurait envie de prendre en charge de manière agresive sur le plan thérapeutique.
La coronarographie reste indiquée pour bien confirmer l’absence de sténose durable coronaire, d’autant plus qu’il existe parfois d’authentiques thromboses.
Les troubles supraventriculaires par inhibiteurs calciques bradycardisants.
Les troubles du rythme ventriculaires seront traités en première intention à la lidocaïne puis à l’amiodarone. Le sérum salé hypertonique pourrait être utilisé contre les troubles du rythme avec effet stabilisant de membrane (NB : manque de sources confirmant l’utilisation). Le bicarbonate de sodium aussi avant l’utilisation des antiarythmiques à 1 à 2 mEq en bolus IV (8,4%) avec 2 g de KCl par 250 ml pour obtenir un pH entre 7,45 et 7,55.
Si le sujet est asymptômatique, l’élimination des boulettes est obtenue par huile de paraffine ou PEG. En cas de symptôme digestif un avis chirurgical doit être pris. Les autres symptômes peuvent faire craindre une rupture des sachets avec intoxication aiguë massive.
Godeau P, Traité de médecine interne, Masson
Drug induced lung disease , Intraventricular haemorrhage , Nasal septal perforation , Dilated cardiomyopathy , Body packing , Radiopaedia
Cocaine toxicity , cocaine related chest pain , Life in the fast lane
Cocaine toxicity , treatment and management , Medscape
Intoxication par drogues illicites , présentation
Cocaine intoxication and hypertension
Acute cocaine intoxication, actual methods of treatment, National institute on drug abuse 1992
β blockers and cocaïne : fatal attraction ?
Spontaneous Circulation: A Patient’s Lie Masks the Cause of Chest Pain , search results for « cocaïne » , EMNews
Pubmed :
Crack Cocaine-Induced Cardiac Conduction Abnormalities Are Reversed by Sodium Bicarbonate Infusion
Psychiatric emergencies (part II): psychiatric disorders coexisting with organic diseases
Excited delirium: Consideration of selected medical and psychiatric issues
The emergency care of cocaine intoxications
Management of patients with substance use illnesses in psychiatric emergency departament
An unusual multiple drug intoxication case involving citalopram
Toxicological screening in trauma
Myocardial infarction in young people with normal coronary arteries
Fatal Injuries after Cocaine Use as a Leading Cause of Death among Young Adults in New York City
Cocaine-related vascular headaches
Cocaine intoxication associated with abruptio placentae
Rhabdomyolysis in a case of free-base cocaine (« crack ») overdose
Cardiac arrhythmia and myocardial ischaemia related to cocaine and alcohol consumption
Cocaine-induced renal infarction: report of a case and review of the literature
Toxic Effects of Levamisole in a Cocaine User , Cocaine-Induced Coronary-Artery Vasospasm , NEJM Images in clinical medicine
Mysterious Purpura & Neutropenia in a Cocaine User
un article de 1902 : Cocaine intoxication and and its demoralizing effect
hors sujet : Anesthesia in cocaine users
vascularite induite par la lévamisole
Dans un Festival une fois, ils distribuaient en plus des traditionnels bouchons d’oreilles et préservatifs du sérum physiologique. J’ai demandé pourquoi, ils m’ont répondu que c’était pour se nettoyer les narines après avoir sniffé… Sans doute pour éviter la nécrose ?
Probablement, je n’en avais jamais entendu parler avant. Ça me surprend que les organisateurs aient pensé à un détail aussi anecdotique, je ne suis pas sûr que ça dissuade beaucoup les consommateurs, plutôt au contraire même.
J’ai été passionée par ce post, bien sûr :-). Très clair, riche et bien écrit. je me permets de mettre mon grain de sel :
En ce moment aux états-unis ils ont des soucis de vascularite liée au lévamisole utilisé comme produit de coupe. je te mets une référence qui est en acces libre.
J Clin Med Res. 2012 Oct;4(5):358-9. Epub 2012 Sep 12.
Limited cutaneous vasculitis associated with levamisole-adulterated cocaine.
Yachoui R, Kolasinski SL, Eid H.
Il est existe aussi un « crack du riche » le free-base cuisiné à partir de cocaïne achetée sous forme de poudre.
Dans les effets post-aigus immédiats attention à la descente qui s’accompagne de symptômes anxieux et dépressifs voire parfois passage l’acte suicidaire .
J’ai bien ramené ma science, je retourne sur twitter raconter des conneries.
merci pour le lien