thoracotomie

petite encyclopédie de l'urgence

Intoxications médicamenteuses – 2 – les traitements : lavage gastrique, charbon activé, antidotes

intoxication lavage gastrique

Matériel pour lavage gastrique, ancien traitement phare des intoxications médicamenteuses

Cet article est la suite de intoxications médicamenteuses – 1 – les produits, il a mis du temps à se faire, puisque le 1er article date de 2011 et que nous sommes en 2015 (ça c’est pour les visiteurs du futur qui ne sauront pas que pour connaître la date d’un article il faut regarder l’url dans la barre de titre … parce que dans le futur ça aura changé !).  L’illustration a été faite à cette époque et est donc un peu brouillonne mais je l’ai gardé quand même, elle représentait le matériel pour réaliser un lavage gastrique.

Les traitements en toxicologie médicamenteuse se sont basés historiquement sur :

  • la décontamination digestive : vomissements provoqués, lavage gastrique, irrigation par polyéthylène glycol, charbon activé, résine échangeuse d’ions
  • les antagonistes et antidotes
  • l’épuration extra-rénale
  • remplacement définitif des organes lésés : transplantation hépatique

Ceci associé à une surveillance en service d’urgence ou soins continus/intensifs jusqu’en réanimation pour les cas les plus graves, parfois admis directement depuis la phase préhospitalière. L’administration de charbon activé associé à une surveillance clinico-biologique est dans beaucoup de cas l’option thérapeutique principale, valable pour des intoxications légères ou modérées sans retentissement sur les fonctions vitales.
On insistera pas dessus ici, mais bien évidemment, une intoxication médicamenteuse est souvent volontaire et donc la prise en charge psychologique et psychiatrique est fondamentale, passée la phase aiguë de l’intoxication. De même que pour les intoxications accidentelles chez l’enfant, en intégrant les parents dans la discussion. Je ne détaillerai pas non plus le contexte des intoxications dans un but criminel.

Vomissements provoqués, émétisants

On ne le fait plus depuis longtemps … que ce soit les doigts au fond de la gorge ou le sirop d’Ipeca. Même dans une situation dramatique on ne peut pas conseiller aux témoins de le faire sur un intoxiqué, le risque d’inhalation bronchique lors des vomissements étant beaucoup trop important.

La seule situation où c’est envisageable (Ipéca) concerne les passeurs de drogues (body packers) quand les paquets viennent d’être ingérés et qu’ils ont été visualisés sur la radiographie d’abdomen mais la plupart du temps ils sont déjà loin au niveau du grêle.

Lavage gastrique

Le lavage gastrique était le traitement ancestral de très nombreuses intoxications médicamenteuses. Souvent remis en question au profit du charbon activé, qui lui aussi a parfois déçu dans son action, puis réemployé, il manquait clairement de données scientifiques validées pour justifier son utilisation. C’était une technique déplaisante à subir pour le patient et à réaliser pour le soignant, avec une connotation négative punitive non souhaitable, d’autant plus qu’il n’empêchait pas les récidives. Il est finalement quasi complètement abandonné au profit d’une surveillance renforcée ou d’antidotes +/- associés au charbon activé depuis les recommandations de 1992.

Indications

La seule indication qu’il lui reste concerne les intoxications potentiellement graves, susceptible d’engager le pronostic vital et se produisant dans un délai de moins d’une heure. Il n’est envisageable qu’en complément des traitements prioritaires (antidote et traitement symptomatique). Il peut être pratiqué plus tardivement voire répété dans des cas particuliers :

  • ingestion de doses massives
  • médicaments à libération prolongée, comprimés gastro-résistants
  • risque de formation d’agglomérats intragastriques (carbamates, tricycliques)
  • médicaments retardant la vidange gastrique et ou le transit intestinal (tricycliques)
  • produits radio-opaques visibles sur un ASP (fer, plomb)
  • intoxication grave et absence de disponibilité de l’antidote spécifique à l’intoxication

Exemples :

  • paraquat
  • colchicine
  • anti-arythmiques, digitaline
  • théophylline
  • antidépresseurs tricycliques
  • barbituriques
  • carbamates
  • méthanol
  • organophosphorés : discuté

Dans ces situations, même si le délai est dépassé pour tenter un lavage gastrique, on ne propose pas de charbon activé.

Contre-indications

Il n’est pas utile de réaliser une épuration digestive dans les intoxications avec produits dépourvus de toxicité (contraceptifs),  ingestion de doses inférieures aux doses toxiques, dans les intoxications aux opiacés et aux benzodiazépines.

Les contre-indications absolues du lavage sont :

  • Intoxications par caustiques, suspicion de perforation oesophagienne ou gastrique
  • Intoxication aux hydrocarbures et dérivés pétroliers, produits moussants
  • Altération de la conscience (sauf malade intubé et ballonnet gonflé, il existe cependant un risque de lésion du ballonnet)
  • Convulsions, absence de réflexe nauséeux, personne âgée ou dépendante : risque d’inhalation
  • Hémodynamique précaire, troubles du rythme cardiaque, dépression respiratoire
  • Antécédents de chirurgie gastrique
  • Âge < 9 mois

Technique

Préalablement, il est préférable d’avoir posé une voie veineuse périphérique, et de réaliser une prémédication avec 0,5 mg d’atropine pour éviter les réactions vagales. Le liquide d’irrigation, sous forme de sérum salé isotonique sera réchauffé à la température du corps.

Patient placé en position latérale de sécurité avec tête légèrement abaissée, pose d’une sonde gastrique de gros calibre 36-40 Ch, par voie orale, après lubrification à l’eau ou l’huile (mais pas d’anesthésique local). Une fois la sonde vérifiée en place (test d’aspiration et air poussé dans la seringue auscultation d’un borborygme au creux épigastrique), on administre un volume d’eau (300-500 ml) par une cloche ou tulipe en verre ou un entonnoir maintenus en hauteur, qu’on laisse s’infiltrer dans l’estomac, puis on le récupère en positionnant la sonde cloché détachée en dessous du plan du brancard, s’évacuant dans un seau.
On poursuit le lavage jusqu’à obtention d’un liquide clair (environ 10 l de soluté), parfois plus longtemps pour les produits les plus toxiques.

Complications

  • Nausées et vomissements
  • Lésions dentaires et bucco-pharyngées surtout si agitation
  • Hémorragie digestive (rare) par érosion oesophagienne ou gastrique
  • Spasme laryngé : il a été rapporté notamment chez les patients à moitié conscients ayant un comportement d’opposition
  • Pneumopathie d’inhalation : ce risque est plus élevé lorsque le lavage gastrique est effectué sans intubation trachéale préalable chez des patients dans le coma ou ayant ingéré des hydrocarbures. Néanmoins, des cas d’inhalation ont également été signalés chez des patients conscients et qui n’avaient pas absorbé d’hydrocarbures.
  • Hémorragies sous conjonctivales lors d’efforts de toux ou de vomissements
  • Hypernatrémie à la suite d’un lavage gastrique avec des quantités importantes de sel, ou plus souvent hyponatrémie, évitée pour certains auteurs par l’adjonction de chlorure de sodium dans l’eau de lavage (4 à 9 g/l),
  • Intoxication à l’eau : elle a été signalée à la suite d’un lavage gastrique, en particulier chez l’enfant
  • Hypertension et tachycardie ont été constatées au cours du lavage gastrique, expliquées par une réaction adrénergique
  • Bradycardie d’origine vagale à l’introduction du tube, parfois même arrêt circulatoire, en particulier avec les toxiques cardiotropes (digitaliques, chloroquine, carbamates)

Aspiration digestive

Indiquée dans les intoxications par pesticides liquides, herbicides (paraquat, diquat), insecticides, surtout si le patient n’a pas vomi, et préférée au lavage gastrique de par la présence de solvants pétroliers et de surfactants moussants. Elle doit être suivie de charbon pour le paraquat et le diquat qui sont bien adsorbés.
Suffisante pour le méthanol et l’éthylène glycol si réalisée précocement lors d’une ingestion volontaire importante et inutile lors des intoxications accidentelles.

Entérodialyse

Charbon activé

Commercialisé sous le nom Carbomix®, il a un pouvoir d’adsorption faible, de l’ordre de 10/1 (10 g de charbon pour 1 g de médicament) ou 5/1 (théophylline, chloroquine) qu’il compense par une grande surface d’adsorption. Utilisé en dose moyenne de 50 g, convenant pour la majorité des intoxications ne dépassant pas 5 g de médicament ingéré. On propose donc une dose initiale de 50 à 100 g et une dose horaire de 12,5 g, mais des administrations de 25 g toutes les 4 h se sont avérées efficaces, même si  elles sont peut être moins bien tolérées que les administrations horaires. Il n’y a pas de risque d’obstruction digestive, et le risque d’inhalation est très faible.
Utilisé précocement, il peut même rendre le médicament totalement non biodisponible. Il exerce une action au niveau de l’estomac mais aussi du grêle. Il peut rester efficace, même tardivement, lors des intoxications par médicaments à libération prolongée ou quand il existe un ralentissement de la vidange gastrique ou du transit (plénitude gastrique, ingestion d’alcool, médicament à action cholinergique).

Il est inefficace sur :

  • acides forts, bases fortes
  • alcools et glycols
  • fer et métaux
  • sels ionisés (lithium, chlorure de sodium, potassium, calcium, magnésium, chlorates)
  • cyanure

La décontamination mécanique lui est préférable quand le toxique est à risque et que l’adsorption par le charbon est inconnue ou quand les doses dépassent les possibilités d’adsorption pondérale.

Polystyrène sulfonate de sodium, Kayexalate®

Le charbon activé n’est pas actif sur le lithium. Des travaux expérimentaux ont montré que le PSS réduisait la biodisponibilité du lithium. La surveillance de la kaliémie est impérative puisqu’il est hypokaliémiant.

Irrigation digestive

Sorbitol, sulfate de magnésium : pas d’indication documentée

Polyéthylène glycol ou PEG de gastroentérologie 1500 à 2000 ml/h chez l’adulte : intoxication au lithium, fer, arsenic, métaux et toxiques non adsorbables par le charbon.

Antidotes

Leur utilisation sera détaillée pour chaque intoxication exposée sur le site. Citons les plus connus :

  • benzodiazépines : flumazénil / Anexate®
  • opiacés dont morphiniques : naloxone / Narcan®
  • neuroleptiques : dantrolène / Dantrium®
  • digitaliques : fragments Fab / Digidot®
  • bêta-bloquants : glucagon, isoprénaline, dobutamine, adrénaline
  • anti-arythmiques et antidépresseurs tricycliques : lactate ou bicarbonate de sodium molaire
  • organophosphorés : atropine, méthylsulfate de pralidoxime / Contrathion®
  • paracétamol : N-acétylcystéine / Fluimucil®
  • insuline : glucose (pas tout à fait un antidote, mais le traitement le plus logique)
  • méthanol ou éthylène glycol : 4-méthylpyrazole / Fomépizole® ou à défaut éthanol / Curéthyl®
  • méthémoglobinisants : bleu de méthylène
  • cyanures : hydroxycobalamine / Cyanokit®
  • plomb : EDTA, DMSA

Hors sujet ici, mais faisant partie de la toxicologie et pouvant être considérés comme des antidotes spécifiques :

  • venin de vipère : sérum antivenimeux / Viperfav®
  • monoxyde de carbone : oxygène normobare et surtout hyperbare

Hémodialyse

L’épuration rénale  par diurèse forcée a été longtemps un mythe en toxicologie et n’a pratiquement plus d’indications.

L’épuration extra-rénale par hémodialyse dépend du type de substance (hydrosoluble), du volume de distribution, du taux sanguin du toxique, de la demi-vie longue d’élimination, de la faible liaison aux protéines, de la diffusion tissulaire peu importante …
Elle a quelques rares indications reconnues : méthanol, glycols, lithium.

L’exsanguino-transfusion représente le traitement des hémolyses intravasculaires d’origine toxique et des méthémoglobinémies graves ne répondant pas au traitement par bleu de méthylène.

Cas particulier

Dialyse hépatique et traitements spécifiques en unité d’hépatologie, transplantation hépatique en urgence dans les intoxications les plus graves au paracetamol.

Références

Epuration digestive des toxiques 1992 , Que reste t il des indications de la décontamination digestive ? 2008 , SFMU

Le lavage gastrique, CAPM

Antidotes, antagonistes, épuration , Intoxications médicamenteuses : nouveautés en toxicologie , intoxications aux organophosphorés , SFAR

Intoxications aiguës chez l’adulte : utilité de la décontamination digestive , Revue médicale suisse

L’épuration digestive, rénale et extra-rénale des toxiques (sommaire)

Médias

lavage gastrique sur mannequin

scène de film allemand assez réaliste

Publicité

Quelque chose à ajouter ?

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

YouTube