L’hypertension artérielle est une maladie chronique primaire (essentielle) ou secondaire. Elle constitue un facteur de risque vasculaire pour de nombreuses maladies (même traitée). La pression artérielle chez un hypertendu n’est pas toujours stable et subit des variations notamment en fonction des évènements et pathologies intercurrentes.
Une tension élevée est donc souvent la conséquence et non la cause des chiffres obtenus (il faut néanmoins la prendre en charge).
La crise hypertensive est une acutisation d’une HTA pré-existante (pas toujours connue ou traitée avec observance) dont la prise en charge doit se faire en urgence car il y a une menace directe à brève échéance sur les organes cibles (cerveau, rétine, coeur, rein).
La découverte de chiffres tensionnels élevés n’est pas toujours synonyme de gravité, mais il faut faire une évaluation de l’état tensionnel afin de ne pas méconnaître une pathologie, ou un facteur aggravant et de ne pas banaliser l’hypertension.
Il y a toujours beaucoup d’idées reçues sur les chiffres de la PA et les risques encourus. On a souvent le temps de choisir un traitement adapté, car un traitement brutal entraîne à l’inverse une hypotension nuisible et impossible à corriger (utilisation de la nifédipine pendant longtemps avec constitution d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques par hypotension brutale).
Quelques chiffres en mmHg (S = systolique, D = diastolique) :
S > 140, D > 90 : HTA légère, prise en charge possible sans urgence
S > 160, D > 100 : HTA modérée, délai de prise en charge une semaine maximum
S > 180, D > 110 : HTA sévère, délai moins d’une semaine
S > 210, D > 120 : HTA très sévère, prise en charge le jour même
Les urgences liées à une élévation primaire et isolée de la pression artérielle sont finalement assez rares, il s’agit de l’HTA maligne ou accélérée et de l’encéphalopathie hypertensive (dont les tableaux sont difficiles à différencier d’un AVC avec HTA).
Beaucoup plus fréquentes sont des urgences médicales ou chirurgicales avec pression artérielle élevée voire très élevée, l’HTA ayant joué le rôle de facteur de risque vasculaire pour le développement de ces affections. Une poussée hypertensive va ainsi décompenser un état pré-existant précaire.
On trouve ainsi l’AVC ischémique avec constitution d’un infarctus cérébral, l’hémorragie méningée, l’insuffisance cardiaque avec oedème pulmonaire cardiogénique, l’insuffisance rénale aigüe, la dissection aortique, l’éclampsie et la pré-éclampsie et plus rarement le syndrôme coronarien aigu avec parfois constitution d’un véritable infarctus secondaire (IDM type 2) c’est à dire par augmentation de la demande en oxygène sans rupture de plaque d’athérome (1 : un exemple sur le blog du Dr Smith chez une patient avec hypertrophie ventriculaire considérable).
Des affections moins fréquentes peuvent se voir comme l’intoxication par drogues sympathomimétiques (cocaïne, LSD, amphétamines, ecstasy, certains médicaments), le sevrage en antihypertenseur central, l’HTA d’origine médullaire, l’anémie hémolytique microangiopathique, des tumeurs rares comme le phéochromocytome, …
La plupart des affections peuvent se traiter avec un inhibiteur calcique, la nicardipine, le plus souvent par voie intraveineuse à la seringue électrique pour mieux contrôler les doses, et ceci en association au traitement spécifique (nitrés et furosémide de l’OAP, nimodipine dans l’hémorragie méningée, benzodiazépines/magnésium dans l’éclampsie …).
Il faudra souvent recourir à un avis spécialisé en urgence car toutes ces affections devront être surveillées en réanimation. Il n’y a que dans l’éclampsie et la dissection aortique que le traitement antihypertenseur doit être entrepris le plus rapidement possible.
Dans les accidents neurologiques, on peut parfois « respecter » une TA tant qu’elle n’est pas supérieure à 230/130 mmHg.
ECG de l’hypertension artérielle : hypertrophie ventriculaire gauche avec troubles de repolarisation, indice de Sokolov . Cet aspect n’est pas spécifique et en urgence il renseigne juste sur la chronicité de l’HTA et donc la nécessité d’une bonne prise en charge si les chiffres ne sont pas contrôlés. Les troubles de repolarisation posent le problème du diagnostic d’ischémie coronarienne qui peut être associée en fonction des autres facteurs de risque cardiovasculaires.
En cas d’HTA maligne avec syndrome coronarien aigu, généralement les anomalies ECG du SCA sont visibles, avec réserve bien sûr devant la présence d’un bloc de branche gauche ou chez un patient porteur d’un stimulateur cardiaque.
La radiographie de thorax ne montre rien de spécifique dans une HTA sauf après des années d’évolution, avec une cardiomégalie, lié au départ à l’hypertrophie ventriculaire gauche puis à l’insuffisance cardiaque. En cas d’oedème pulmonaire cardiogénique lié à l’HTA, on voit des infiltrats alvéolo-interstitieles bilatéraux en ailes de papillon et des lignes de Kerley, un épanchement pleural. En cas de dissection aortique on peut voir un élargissement du bouton aortique et de l’aorte descendante, un hémothorax, un élargissement de la silhouette cardiaque par hémopéricarde.
L’échocardiographie retrouve l’hypertrophie ventriculaire et est à la recherche d’éventuelles zones d’hypokinésie en cas de syndrome coronarien, visualise mieux les épanchements péricardique et pleural gauche de faible abondance.
L’échographie pulmonaire dans un oedème pulmonaire montre des équivalents de lignes de Kerley, sous forme d’artefacts hyperéchogènes en queues de comète ou lignes B, verticales depuis la plèvre, regroupées traduisant l’oedème interstitiel.
Le scanner cérébral dans une poussée hypertensive isolée même sévère est normal, il ne montre des anomalies qu’en cas d’AVC hémorragique, d’hémorragie méningée. Il fait partie du bilan des céphalées récentes ou inhabituelles en contexte d’HTA sévère même s’il revient souvent négatif. Secondairement il peut montrer des hypodensités dans le territoire source du déficit dans un AVC ischémique. L’IRM peut montrer des anomalies du signal en cas d’HTA chronique non contrôlée, révélant une encéphalopathie hypertensive chronique.
Il reste recommandé partout de réaliser un fond d’oeil pour dépister la rétinopathie hypertensive. Il reste cependant très difficile de l’obtenir dans des délais raisonnables par un ophtalmologiste et je n’ai jamais vu d’urgentiste disposer d’un ophtalmoscope à portée de main pour en faire un sommaire aux urgences …
Les autres imageries (échographie et Doppler, scanner abdominal) font partie du bilan des HTA sévères et rebelles au traitement, à la recherche d’étiologies rares : sténose des artères rénales, maladie de Cushing, phéochromocytome, …
On découvre des chiffres tensionnels élevés chez un patient présentant peu de symptômes et dans ce cas il faut vérifier la mesure, idéalement après un temps de repos, utilisation d’un système automatique de mesures répétées pour éviter « l’effet blouse blanche », et faire la liste de médicaments potentiellement aggravants (AINS, corticoïdes, contraceptifs oraux, tricycliques, IMAO, décongestionnants nasaux à composante adrénergique).
L’objectif est alors de recherche un retentissement sur les organes cibles par ECG, fonds d’oeil, ionogramme, créatinine, NFS et plaquettes, bandelette urinaire (voire dosage spécifique car des faux positifs de protéinurie peuvent se voir en cas de pH > 7).
Si les chiffres ont bien diminué ( 180/110 mais à FO stade 1 (et sans autres signes) peut être gérée en ambulatoire mais à réévaluer rapidement.
La TA toujours > 210/120 après repos et bilan devra être traitée par nicardipine et hospitalisée le plus souvent.
La difficulté est souvent de faire prendre conscience au patient du risque à venir de chiffres tensionnels élevés car la rétinopathie hypertensive et la néphropathie hypertensive sont silencieuses, la cardiopathie à bas bruit et les accidents cérébraux imprévisibles.
Les traitements de crise et les traitements de fond ne sont pas les mêmes.
Dans le traitement de crise, s’il ne fallait retenir qu’une molécule utilisable dans 90% du temps c’est un inhibiteur calcique la nicardipine. Mais ce n’est pas un traitement de fond optimal.
Dans le traitement de fond, 5 classes pharmacologiques sont utilisables :
A l’heure actuelle une monothérapie devrait utiliser un inhibiteur de l’enzyme de conversion IEC ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 ARA2, les bétabloquants étant souvent décevants dans la réduction tensionnelle. Les diurétiques thiazidiques sont intéressants en cas de bithérapie d’autant plus qu’il existe de nombreuses formes combinées en 1 seul médicament. Mais arrivés à un certain âge les désordres métaboliques sont trop fréquents avec ces molécules. Une trithérapie logique serait une association IEC(ou ARA2) + ICa + D thz. Bien évidemment comme rien n’est simple, on observe des PA élevées en poussée chez des patients qui sont même au-delà en quadri-thérapie anti hypertensive …
Globalement beaucoup de situations hypertensives vues aux urgences ne seront pas réglées le jour même. Les situations qui nécessitent vraiment d’être réévaluées, en particulier pour rechercher une cause d’HTA secondaire (toxiques ou médicaments, maladies rénales, hyperaldostéronisme primaire, phéochromocytome, sténose de l’artère rénale, syndrome de Cushing) :
Nicardipine, Loxen®, inhibiteur calcique dihydropyridines, agent de première intention dans beaucoup de situations (sauf dans l’éclampsie).
Utilisation initiale possible mais prudente par bolus d’ 1 mg IVD par minute (sauf urgence hypertensive neurologique), renouvelable jusqu’à 10 mg puis surtout perfusion continue de 0,5 à 5 mg/h (intraveineuse à la seringue éléctrique IVSE ou seringue autopulsée SAP), sans dépasser 15 mg/h.
On peut commencer raisonnablement entre 3 et 5 mg/h, puis adapter après 15 min. Respecter des paliers de 15 min et de 0,5 à 1 mg/h. Une fois la pression souhaitée obtenue, pour maintenir l’efficacité thérapeutique, il faut réduire la perfusion progressivement jusqu’à une dose comprise entre 2 et 4 mg/h.
Il faut employer des doses plus faibles chez les insuffisants rénaux, hépatiques, les personnes âgées et les femmes enceintes.
D’autres molécules sont efficaces en traitement de fond comme l’amlodipine, la félodipine, … mais leur utilisation en urgence va se limiter à des élévations modérées de PA car il n’y a que des formes orales disponibles.
On utilisait avant elle la Nifédipine, Adalate®, inhibiteur calcique aussi dihydropyridines, quasiment abandonné du fait des baisses trop rapides de pression artérielle. Concernant la nicardipine, sans doute trop utilisée ou pas toujours adaptée, l’ANSM s’est prononcée (avril 2015) sur une réduction de son utilisation intraveineuse en urgence pour l’HTA aiguë mettant en jeu le pronostic vital (HTA maligne, encéphalopathie hypertensive, éclampsie), ainsi que pour l’HTA post-opératoire.
L’indication de la poussée hypertensive avec insuffisance ventriculaire gauche n’est donc plus d’actualité. Dans cette situation, le traitement en priorité est celui de l’insuffisance ventriculaire gauche (Oxygène, CPAP et dérivés nitrés) et même si la poussée d’HTA est le déclencheur on peut espérer que la pression artérielle décroche sous ce traitement. L’ANSM dans sa réévaluation du rapport bénéfices-risques conseille également l’utilisation exclusive en perfusion continue et donc il n’y a plus d’indication pour des bolus de nicardipine avant la mise en place de la SAP.
Il est probable que cette réévaluation soit la même pour tous les autres traitements en IV notamment quand il y avait un bolus avant la perfusion continue.
Eupressyl® Mediatensyl®, alphabloquant
25 mg en bolus IV (sauf HTA neurologique) puis 10 à 30 mg/h.
Trandate®, alpha et bétabloqueur
Utilisable en cas de contre-indication aux bétabloqueurs
Bolus 20 mg IV en cas d’éclampsie, 40 puis 80 mg si nécessaire à 10 min d’intervalle puis 40 à 80 mg toutes les 10 min jusqu’au contrôle sans dépasser 300 mg cumulés. Relai 30 à 120 mg/h IVSE
Catapressan®, antihypertenseur central
Per os : 1/2 à 2 cp puis 1/2 cp par heure jusqu’à 4 cp maximum
Eviter sur toute bradycardie et bloc de conduction.
Nipride®, vasodilatateur mixte
Perfusion de 0,5 kg/min en réanimation ou moins (éclampsie, insuffisance rénale)
Népressol®, vasodilatateur artériel
5 mg IVD dans l’éclampsie puis si besoin 5 à 10 mg toutes les 20-30 min, pas plus de 20 mg (changer de produit dans ce cas : Trandate). renouvelable toutes les 3 à 6 h
Indication principale : douleur du SCA à faibles doses (contre-indiqué si extension au ventricule droit), et surtout OAP
TNT sublinguale Natispray® répétable mais en général peu pratique et effet non réellement contrôlé, utile en attendant le bolus IV
0,3 à 6 mg/h pour la Trinitrine IVSE
Isosorbide dinitrate Risordan® : 1 à 2 mg en bolus dans l’OAP, posologie initiale 2 à 4 mg/h, posologie d’entretien 2 à 15 mg/h, moins si déplétion hydrosodée 1 à 3 mg/h
Furosémide Lasilix®, seule indication dans l’OAP (et encore le dogme des diurétiques est remis en question)
Captopril Lopril®, 1/2 ou 1 cp à 25 mg per os très efficace mais dangereux, à réserver au spécialiste
Certaines urgences hypertensives sont très douloureuses et nécessitent en elles-même un traitement antalgique. Le paracétamol n’est pas très efficace, les AINS comme le kétoprofène ne sont pas réellement dangereux (sauf insuffisance rénale). La morphine titrée est finalement le plus simple à utiliser et avec très peu de risques.
Les douleurs du SCA, de la dissection aortique, de l’hémorragie méningée sont à traiter. Beaucoup de TA élevées entraînent des céphalées qu’il faut aussi soulager. Les variations brutales de PA vont aussi entraîner des céphalées.
Les sédatifs légers par titration de benzodiazépines sont utiles dans les situations anxiogènes sans prise de risque sur la vigilance. Elles font partie du traitement de l’éclampsie mais pour leur action anticonvulsivante.
La plupart du temps avec Nicardipine Loxen® ou Urapidil Eupressyl®
La voie intraveineuse continue est la plus maniable. La dose de charge n’est pas systématique (sauf OAP).
Remesurer la PA après 30 min de repos au calme … ce qui aux urgences relève généralement de l’exploit !
Hospitalisation ou avis spécialisé si on suspecte une ingestion de substances sympathicomimétiques, tricycliques, maladies réno-vasculaires, traumatisme crânien, pré-éclampsie et causes tumorales sources d’HTA
La PAS est entre 180 et 210 ou la PAD est entre 110 et 120 :
bilan biologique « rénal » et théoriquement fond d’oeil …
La PAS est < 180 et PAD < 110 :
consultation sans urgence en médecine générale
administrer le traitement antihypertenseur en cas de rupture de traitement
L’objectif est de diminuer la pression artérielle diastolique de 20% ou < 120.
Nicardipine Loxen® 20 mg ou Urapidil Eupressyl® 1 cp.
Fond d’oeil en urgence s’il est possible sinon hospitaliser. En cas de rétinopathie stade 2 ou 3, utiliser la perfusion continue.
Si le but est atteint et FO stade 1 au maximum et sans effet indésirable notable (hypotension orthostatique), prescrire le médicament choisi en dose d’entretien.
Si le but n’est pas atteint en 2 heures et FO stade 1, ajouter Catapressan® 1/2 cp. si à nouveau le but n’est pas atteint en 2 heures, hospitaliser.
Chez le sujet sevré des antihypertenseurs : traitement habituel, sauf s’il s’agit d’un diurétique, où il faut procéder comme précédemment.
Sortie autorisé après 6 heures si le but du traitement a été atteint. Sinon hospitalisation en reprenant le traitement habituel + Loxen 2-3 cp/j ou Eupressyl 2/j.
Urgences médicales, Axel Ellrodt, éditions Estem
Protocoles Urgences plans et schémas thérapeutiques,B. Boujon, éditions LC scientifique Le Généraliste
Hypertension artérielle et Diagrammes sur e-cardiogram
Prise en charge des patients adultes atteints d’hypertension artérielle essentielle, HAS 2005 et en fiche synthèse (bien que « suspendue » pour faiblesses et conflits d’intérêt, il reste le seul document HAS diffusé en attendant une réévaluation annoncée rapide en … 2011) et fiche Mémo de 2016
Prise en charge de l’hypertension artérielle de l’adulte, SFHTA 2013
HTA quelles recommandations ? , cours Université Angers
Management of hypertension, European society of cardiology guidelines 2013
Hypertension , Malignant hypertension , News search results for hypertension , et en français De nouvelles recommandations européennes dans l’HTA , Résultats de recherche pour hypertension , Medscape
Systemic hypertension , Chronic hypertensive encephalopathy , hypertensive encephalopathy , Radiopaedia
HTA systémique : quand traiter ? quand respecter ? , OAP hypertensif , SFMU
Urgences et hypertension , 2009 JLAR
HTA et urgences hypertensives , EFUrgences
(1) Inferior ST Elevation. BP 250/140 , Dr Smith ECG blog
présentation en anglais sur l’urgence hypertensive et les objectifs tensionnels