thoracotomie

petite encyclopédie de l'urgence

Rupture et fissuration d’anévrisme de l’aorte abdominale

anevrysme aorte abdominale

pièce autopsique anévrisme de l’aorte abdominale sous-rénale

L’anévrisme (ou anévrysme) de l’aorte abdominale ou AAA est une pathologie fréquente, évoluant généralement avec l’âge sur terrain cardiovasculaire. Sa complication redoutée est la rupture ou la fissuration entrainant un tableau de choc hémorragique avec fréquemment une issue fatale. 

Les 2 termes recoupent à peu près la même chose. Si on imagine aisément qu’une rupture sur la plus grosse artère de l’organisme ait une évolution négative extrêmement rapide, il existe des formes en 2 temps voire décalées dans le temps, qui font souvent rejeter la possibilité de ce diagnostic et qui sont pourtant de véritables bombes à retardement.

Sommaire

Données générales

L’anévrisme de l’aorte abdominale est assez courant, on estime que 7% des patients de plus de 65 ans en sont porteurs. L’incidence des ruptures s’échelonne entre 1 et 21 cas pour 100 000 personnes par an aux Etats-Unis.

Son histoire naturelle est une tension excessive exercée sur la paroi artérielle avec dilatation progressive.

Les ruptures se font généralement dans le rétropéritoine (80%), dans le péritoine même (< 20%), et exceptionnellement dans un organe ou vaisseau de voisinage (fistule aorto-cave, aorto-entérique, dans la veine rénale gauche).

Les critères prédictifs de rupture imminente sont :

  • croissance de l’anévrisme sur imageries successives (10 mm par an, certains auteurs considèrent même > 6 mm)
  • anévrisme large > 6 cm (taille normale aorte = 3 cm)
  • réduction de la taille du thrombus
  • discontinuité dans les calcifications pariétales
  • croissant bien individualisé d’atténuation au sein du thrombus traduisant un saignement frais
  • stress pariétal chiffré en N/cm²
  • tabagisme important
  • BPCO sous corticothérapie
  • antécédents familiaux d’anévrisme aortique
  • HTA mal contrôlée
  • morphologie complexe > sacculaire > fusiforme

La mortalité est particulièrement élevée, le facteur temps étant essentiel dans cette pathologie. Les patients présentant une rupture en préhospitalier vont décéder dans plus de la moitié des cas.

Parmi les personnalités célèbres touchés par cette pathologie, Albert Einstein fut opéré en 1949 par une technique (Rea, 1948) consistant à emballer l’anévrisme dans du cellophane pour induire une fibrose locale et limiter son expansion. Il succombera à la rupture de cet anévrisme en 1955.

Diagnostic

Clinique

Triade classique : Douleur + Hypotension + Masse abdominale pulsatile. Ne concerne que 25-50% des patients … La douleur n’a rien de spécifique, mais souvent elle est intense et mal supportée au départ par sa brutalité et son intensité, secondairement par l’altération rapide de l’état général. Elle peut être abdominale ou dorso-lombaire. L’hypotension est un signe tardif des états de choc. Dans le cadre de ce choc hémorragique, la pression artérielle va vite s’effondrer, mais à la phase initiale ou sur une rupture contenue, c’est la tachycardie sinusale ou accélération d’une ACFA, puisque ce sont souvent des patients à comorbidités cardiaques (quand cette accélération est possible, signe trompeur chez le patient sous bétabloquants). Les marbrures, le refroidissement des extrémités, la peau moite livide sont de bons signes mais de choc déjà avancé. Une syncope mal expliquée sans récupération complète est possible aussi. La désaturation précède l’hypotension, par vasoconstriction cutanée (Sat imprenable). La masse abdominale pulsatile, n’est souvent pas retrouvée chez le patient en surpoids avec un fort abdomen, et ce d’autant plus que l’anévrisme n’a pas un diamètre extraordinaire. On retrouve aussi chez des sujets plus maigres sans anévrisme aortique, une pulsatilité abdominale physiologique sans masse, mais parfois assez forte, proche du signe de Harzer cardiaque. Les pouls distaux sont généralement conservés.

Des présentations atypiques sont possibles : paralysie transitoire d’un membre inférieur, douleur de l’hypochondre, de l’aine, des organes génitaux (avec parfois une ecchymose scrotale : blue scrotum sign of Bryant), thrombose veineuse profonde ilio-fémorale, présentation subaiguë ou chronique avec rupture « scellée », livedo reticularis des pieds ou blue toes syndrome sur emboles des petits anévrismes aortiques, hémorragie digestive foudroyante sur rupture dans le duodenum. C’est avec l’embolie pulmonaire, l’infarctus massif et la rupture d’anévrisme intra-crânien, un des diagnostics classiques rétrospectifs de mort subite.
La présentation peut se faire également sur le mode d’un syndrome compartimental abdominal.

Le syndrome fissuraire ou les descriptions de stade pré-fissuraire en imagerie sont des notions un peu floues qui décrivent la découverte inattendue d’un anévrisme de l’aorte abdominal conséquent dans un bilan de douleur abdominale aiguë. Difficile de rapporter réellement la douleur du moment à l’anévrisme mais la sous-estimation serait dramatique. Ces patients doivent être évalués précisément par angioscanner (+/- reconstructions) et surveillés au moindre doute, qu’importe l’opérabilité et/ou l’état général.

Différentiel

Imagerie

Explorations et tests qui n’ont pas leur place

Les radiographies standard ne servent à rien. Si la radiographie de thorax au niveau de l’aorte thoracique peut visualiser un anévrisme et donc suspecter sa rupture si cliniquement ça colle (+/- hémothorax, hémopéricarde), elle n’est pas non plus sensible ni spécifique pour le diagnostic. Au niveau de l’abdomen sans préparation, il n’y a pas d’image typique visualisable, au mieux un effacement du bord du muscle psoas, au maximum l’inondation rétropéritonéale donnerait une image voilée blanchatre sur l’ASP (+/ des signes occlusifs) mais elle ne peut permettre un diagnostic préthérapeutique ni l’exclure. Les calcifications aortiques n’indiquent rien d’autre qu’une artériopathie ancienne. L’IRM n’a pas de place en urgence même chez le patient stable, et est bien souvent inacessible en urgence. Son emploi ne trouve un intérêt qu’en cas de contre-indication au scanner injecté et pour certaines collections rétropéritonéales complexes chroniques. L’angiographie préopératoire ou aortographie est encore pratiquée mais le scanner injecté lui a pris beaucoup de ses indications, permet de voir les collatérales et le lit d’aval.

Un bilan biologique est toujours utile pour guider la réanimation péri-opératoire, mais la numération ne doit pas servir d’indicateur de potentielle déglobulisation et donc de probabilité de la présence d’un anévrisme.

Echographie

L’échographie peut faire le diagnostic de présence d’un anévrisme de l’aorte abdominale mais ne fait pas le diagnostic de rupture. Sous réserve que le patient sois « explorable » en écho, elle est mise en difficulté chez le patient en surpoids, ou en cas de météorisme associé. Chez un patient qu’on sait porteur d’un anévrisme de l’aorte abdominal, en cas de stabilité il faudra de toutes façons un angioscanner pour mieux évaluer la situation.

En tant qu’examen en salle de radiologie, l’échographie est inutile et même dangereuse car elle fait perdre du temps. En salle de déchocage ou en transport par SAMU, elle a toute sa place pour rechercher des signes de rupture ou diagnostiquer un anévrisme non connu. Elle peut ainsi confirmer rapidement l’indication de laparotomie urgente.

Techniquement, on utilise une sonde basse fréquence abdominale, avec profondeur de champ de 15-20 cm, positionné sur la ligne médiane juste en dessous de l’appendice xiphoïde. Sur l’image l’aorte est à droite et la veine cave inférieure à gauche. Chez les patients maigres il ne faut pas se tromper en sous-estimant la profondeur de l’image et prendre le corps vertébral et son ombre acoustique pour un anévrisme aortique dont on ne verrait pas la partie la plus postérieure et confondre l’aorte normale avec une artère mésentérique ou le tronc coeliaque. Chez les patients en surpoids, ou quand le tube digestif est rempli d’air, il faut pouvoir appuyer fortement sur l’abdomen pour chasser les artefacts aériques, ce qui est compliqué quand l’abdomen est douloureux. On ne peut pas toujours évaluer l’aorte sur toute sa longueur, parfois la seule visualisation possible est une coupe transversale juste au-dessus de l’ombilic. Un calibre normal de l’aorte à ce niveau réduit la probabilité d’un anévrisme rompu, mais bien sûr ne l’élimine pas totalement. L’apport du signal Doppler est faible car c’est la pulsatilité visuelle de l’aorte qui permet de la reconnaître et la brèche vasculaire est malaisée à voir précisément. Il peut différencier la vraie lumière, d’un thrombus mural quand l’échogénicité est mauvaise. Certains anévrismes ont des formes très particulières et la visualisation en écho devrait pour se prononcer, évaluer en coupe transversale depuis la jonction thoraco-abdominale jusqu’à la bifurcation iliaque, et en coupe sagittale (idéalement avec la naissance du tronc coeliaque et de l’artère mésentérique supérieure).

Les critères d’évaluation sont :

  • dilatation focale de l’aorte (diamètre normal < 2 cm, dilatée 2-3 cm, anévrismal > 3 cm) mesuré en antéro-postérieur plutôt que latéralement, en sachant que la mauvaise visibilité fait sous-estimer le diamètre réel, en ne mesurant que le diamètre de la lumière vasculaire
  • épanchement péri-aortique sous forme hypo voire anéchogène, parfois en différentes couches, stratifié
  • interruption interne d’un thrombus luminal (donnant une fausse image d’artère partant de l’aorte mais n’allant nulle part)
  • interruption focale de la paroi vasculaire (mieux visible quand celle-ci est calcifiée)
  • thrombus flottant
  • présence d’un hémopéritoine (facile à voir, mais minoritaire dans cette pathologie)
  • présence d’une hémorragie rétropéritonéale (plus difficile d’évaluation en écho, hyperéchogène et hétérogène)

En dehors de la rupture, on a proposé un screening de dépistage des anévrismes de l’aorte abdominale à partir de 65 ans chez l’homme jusqu’à 75 ans dans la population générale (en option chez le non fumeur et non recommandé chez la femme). Recommandé dès 50 ans en cas d’antécédent familial de premier degré. On a évoqué aussi l’utilité d’une visualisation rapide de l’aorte abdominale par le cardiologue lors de toute échocardiographie dans cette optique de dépistage.

anévrisme de l'aorte abdominale en échographie

anévrisme de l’aorte abdominale en échographie

sous-évaluation de la mesure du diamètre antéro-postérieur d'un anévrisme de l'aorte abdominale

sous-évaluation de la mesure du diamètre antéro-postérieur d’un anévrisme de l’aorte abdominale

anévrisme de l'aorte abdominale avec dissection

anévrisme de l’aorte abdominale avec dissection

Scanner

Le scanner notamment avec injection permet le diagnostic de certitude de la présence d’un anévrisme aortique, et de sa rupture rétropéritonéale. Mais il faut que le patient soit stable pour être bilanté. Il peut être fait en cas de besoin sans injection et donne les mêmes renseignements avec un bémol concernant une fissuration sans rupture. La rupture laisse souvent un hématome rétropéritonéal volumineux ou même d’une hémorragie active qui refoule les structures péritonéales antérieures ou latéralement les reins. Au niveau de l’anévrisme même, le contraste fait la différence entre la lumière et le thrombus mural sous forme de croissant hypodense. On peut voir des signes occlusifs d’accompagnement. Toutes les présentations ne sont pas celles de patients en choc, on voit des ruptures contenues qui tiennent parfois quelques jours.

Rupture contenue

rupture contenue d’anévrisme de l’aorte abdominale

Fissuration et rupture secondaire

anévrisme complexe de l’aorte abdominale, thoracique et des artères iliaques. syndrome occlusif. pas de signes de rupture

2 jours + tard, état de choc hémorragique, rupture rétropéritonéale

Hémorragie rétropéritonéale

douleur abdominale depuis 3 jours, suspicion d’appendicite … rupture d’anévrisme aortique !

rupture d’un énorme anévrisme de l’aorte abdominale avec hématome rétropéritonéal refoulant le rein gauche

Hémopéritoine

hémopéritoine lié à une rupture d’anévrisme de l’aorte abdominal chez un patient sous dialyse péritonéale

Fistule aorto-cave

fistule aorto-cave sur une rupture d’anévrisme de l’aorte abdominale

Rupture chronique contenue

anévrisme chronique rompu et contenu d’une taille considérable avec érosion majeure des corps vertébraux

Traitement

Médical

Il faut informer le patient et son entourage de la gravité de la situation.

Transport médicalisé en extra-hospitalier avec le moins de mobilisations possibles, efforts de toux à éviter, sondages à proscrire, vers un centre habilité à pratiquer la chirurgie vasculaire en urgence (+/- la radiologie interventionnelle) équipe prévenue de l’arrivée du patient pour l’organisation du bloc. Pour les patients instables (et quand le diagnostic est certain) le transport se fait directement au bloc opératoire.

Conditionnement rapide pour le bloc opératoire, commande de sang. Mise en place de voies veineuses périphériques de bon calibre, éviter les cathéters centraux qui n’ont pas de débit assez important. Blood pump dans les situations dramatiques. Pas de remplissage vasculaire intempestif qui risque de réactiver un saignement qui s’est ralenti, concept d’hypotension permissive, risque aussi d’hypocaogulabilité. L’objectif est une pression systolique à 80 mm Hg. L’usage des drogues vasopressives est périlleux car risque de rebond de pression artérielle et donc du saignement. Le pantalon antichoc utilisé dans le choc hémorragique semble diminuer la mortalité préopératoire dans cette situation. Analgésie par paracetamol et morphiniques.

En hospitalier au bloc opératoire ou préhospitalier si nécessaire, intubation en séquence rapide à l’étomidate ou kétamine, même si la succinylcholine est plus risquée dans ce contexte que les curares non dépolarisants.

Chirurgical

Laparotomie par voie transabdominale ou rétropéritonéale gauche, clampage abdominal idéalement sous rénal (éventuellement aortique thoracique bas par thoracotomie latérale gauche mais de + mauvais pronostic). Mise a plat de l’anévrisme, extraction du thrombus comme dans une cure chirurgicale programmée. Reconstruction par prothèse en Dacron, souvent isolée du tube digestif pour éviter les fistules post opératoires.

Les complications post-opératoires sont nombreuses : rupture malgré tout, IDM, pneumonie, infection de la prothèse, infection inguinale, colite ischémique, insuffisance rénale aiguë, éventration, occlusion, ischémie artérielle aiguë, embolie de cholestérol, impuissance, paresthésies, lymphocèle, fistules digestives …

Endovasculaire

Utilisé dans les situations moins urgentes ayant pu bénéficier d’un angioscanner préalable. Stent endovasculaire ou endoprothèse. Moins invasif mais risque de fuite vasculaire et de rupture tardive. Actuellement traitement préférable chez les patients à haut risque pour la chirurgie. L’aspect du collet proximal est le facteur limitant principal pour le traitement endovasculaire.

Il est en fait difficile de se positionner réellement en faveur de l’une ou l’autre méthode compte tenu des risques.

Références

Abdominal Aortic Aneurysm Rupture , Abdominal Aortic Aneurysm Rupture Imaging , Bedside Ultrasonography Evaluation of Abdominal Aortic Aneurysm , Search results in News & Perspective , Medscape

Rupture of an abdominal aortic aneurysm , Radiopaedia

Rosset E, Anévrysme aortique abdominal fissuré ou rompu , SFMU urgences 2008

Anesthésie pour chirurgie aortique abdominale en urgence , SFAR

Pubmed Images Search results

Ruptured abdominal aortic aneurysm: categorization of sonographic findings and report of 3 new signs

Focus On: Bedside Ultrasound of the Abdominal Aorta , ACEP

Abdominal vascular emergencies: US and CT assessment

Médias

échographie de l’AAA

Présentation sur la rupture d’anévrisme aortique abdominal

traitement endovasculaire dans une cure programmée

chirurgie dans une cure programmée

https://twitter.com/EM_ResUS/status/548546017764061185

Un commentaire sur “Rupture et fissuration d’anévrisme de l’aorte abdominale

  1. Jean Jacques
    4 décembre 2017

    Ah, un proche décédé ainsi (dissection aortique?). Anatomo-pathologiste, il s’en est rendu compte… Mais le temps de foncer à l’hôpital, trop tard.
    Memento Mori.

Quelque chose à ajouter ?

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