Macintosh et lame de Mac Intosh
Un récent reportage télévisuel sur une intervention en SAMU montrait l’évaluation d’un patient polytraumatisé, par échographe portable directement dans l’ambulance.
Assez impressionnant de voir le smuriste réaliser son écho sur le lieu même de l’accident et on peut se dire que décidément la médecine fait des progrès.
Néanmoins, je me suis posé quelques questions
L’échographie aux urgences est une pratique relativement récente, en tant qu’outil mis à la disposition des urgentistes, et non plus comme examen d’imagerie demandé aux radiologues. Appliqué initialement dans les polytraumatismes, c’est le concept de échographie rapide ciblée en urgence ou FAST ultrasound.
N’ayant pas mis les pieds dans un camion de SMUR depuis des années, j’en étais resté au fait que déjà en salle d’urgence il n’y avait aucun échographe dédié, et qu’il ne fallait pas trop compter sur le partage d’appareils appartenant aux soins intensifs ou aux réanimations (ce qui me parait normal d’ailleurs, je ne prêterai pas ma brosse à dents à d’autres médecins).
Concrètement je ne pense pas qu’il y ait une équation 1 appareil pour 1 ambulance, et sur l’ensemble du territoire, même pas 1 appareil par service SMUR.
On peut supposer que puisque la caméra était présente, on avait sorti le plus beau matériel et du coup remisé l’électrocardiographe datant de 25 ans et qui ne permet d’imprimer qu’une dérivation à la fois … (et je ne parlerai même pas d’une aspiration qui n’aspire rien d’autre qu’à se faire envoyer à la casse).
Les appareils portables d’échographie coûtent horriblement cher. Je sais bien que tout le monde s’enthousiasme fréquemment (moi le premier) sur des appareils tellement portables qu’ils seraient intégrés aux smartphones, mais ce n’est pas encore d’actualité. Le système sur smartphone nécessite d’ailleurs un appareil dédié qu’il faut acheter, on ne branche pas la sonde d’échographie directement sur son iTéléphone.
Un appareil de ce type par service, ça peut se justifier, mais concrètement il en faut pour chaque ambulance médicalisée, sinon comment on se partage l’appareil ? système de garde alternée ? pas de chance pour les polytrauma de la semaine pauvre alors.
L’idée de l’écho sur le lieu même de l’accident, c’est de voir quand l’examen clinique est pris en défaut. Sur ce point bonne idée, quand on arrive pas à obtenir le silence, l’auscultation ne sert à rien. Remplaçant les oreilles par des yeux bioniques, on peut donc voir des épanchements thoraciques, et même guider un drainage si l’indication du drainage sur les lieux se pose.
Ce qui n’est quand même pas très fréquent en pratique civile.
On peut aussi voir un hémopéritoine mais en préhospitalier cela vaut il le coup sachant qu’on ne peut pas le traiter ? Le camion ne va pas rouler plus vite ! Le seul intérêt est la reconnaissance précoce du mécanisme d’un choc hémorragique pour permettre l’arrivée du blessé vers un trauma center.
Auparavant, la suspicion d’un abdomen aigu sans confirmation imposait de transporter le patient au plus vite vers le centre d’évaluation.
On ne va pas revenir au vieux débat entre la pratique anglo-saxonne du «scoop and run» versus la pratique du SAMU français «stay and stabilize», mais il est évident que certaines lésions ne peuvent être stabilisées sur place et donc réaliser une imagerie peut peut être les diagnostiquer plus tôt mais s’il n’y a pas plus de traitement, concrètement on risque de perde du temps à pratiquer l’examen.
Dans le reportage, la patiente s’est retrouvée coincée sous un camion, et semble s’en sortir miraculeusement sans grosse lésion. Le médecin reste quand même très prudent après son échographie rassurante et tempère son pronostic. Une hypothèse diagnostique parmi d’autre, mais le diaphragme peut très bien avoir cédé dans un mouvement de pression et sa blessure ne sera jamais visible en écho.
En dehors de la traumatologie, y a t il une place pour une échographie aussi précoce ? J’avoue que sur le plan des pathologies médicales hormis pneumothorax et pleurésie abondante, je ne vois pas trop. L’évaluation cardiaque et des pressions pour guider le remplissage me parait délicate dans ce contexte.
Peut être un intérêt dans le transport des femmes enceintes, ou en tous cas comme moyen de réassurance supplémentaire, les urgentistes n’aimant pas trop réaliser de transports longs obstétricaux.
En cas de suspicion d’anévrisme de l’aorte abdominale rompu, elle peut avoir un intérêt, mais c’est déjà un examen difficile pour bien voir, et il ne peut l’éliminer. Elle peut seulement affirmer qu’il y a un anévrisme. Cela peut suffire pour donner un peu de poids au diagnostic et amener le patient directement au bloc opératoire si le patient est instable. S’il est stable il faut une évaluation par scanner, du coup l’écho en préhospitalier est intéressante mais pas une absolue nécessité, et elle pourra être faite en salle de déchocage.
Intéressante pour la tamponnade, mais la réalisation d’une péricardiocentèse est elle souhaitable en préhospitalier sauf mesure de sauvetage ? Pareil pour les signes indirects d’embolie pulmonaire avec choc obstructif majeur pour thrombolyser sur place. Mais la thrombolyse de l’EP n’est pas aussi simple en préhospitalier que pour un syndrome coronarien ST +.
Elle peut faire la différence rapidement dans un état de choc pour orienter rapidement le patient vers le centre le mieux adapté (choc cardiogénique et plateau de cardiologie interventionnel, choc hémorragique et plateau pour embolisation/chirurgie).
L’échographie étant opérateur-dépendant, dans des conditions de stress intense du SMUR, n’est on pas en train d’augmenter le risque d’erreurs de jugement ? Si l’écho préhospitalière et l’écho hospitalière ne concordent pas, que doit on faire, une 3e écho pour départager, un scanner, une exploration encore plus invasive ?
En outre dans le reportage, visiblement en s’appliquant pour réaliser cet examen, la patient a été déshabillée de pied en cap, et grelottait de froid avant d’être mise sous une couverture de survie. Ca parait idiot mais le temps de cette écho, elle ne se réchauffait guère. Le risque de perdre du temps en augmentant celui de l’hypothermie et d’une décompensation d’organes …
Comme souvent, les gros services bien dotés vont profiter de matériel dernier cri tandis que les parents pauvres seront … les parents pauvres !
En raisonnant à grande échelle, il ne me parait pas très logique d’équiper toutes les ambulances médicalisées de Paris avec un matériel diagnostique secondaire high-tech quand les services de périphérie doivent encore supplier la radiologie locale de leur faire des examens justifiés, mais que ces spécialistes dédaignent à faire.
L’imagerie ne doit pas remplacer le sens clinique. C’est facile à dire car dans les conditions extrêmes de la médecine d’urgence préhospitalière, toute aide supplémentaire au diagnostic est la bienvenue. Encore faut il que cette aide ne se fasse pas au détriment d’autres structures, services etc.
A l’heure où l’échographie urgente et d’urgence différée gagne du terrain dans l’arbre diagnostic (cf échographie dans les pneumonies), il n’est pas certain que le préhospitalier soit le cadre idéal même pour un examen non invasif sauf polytraumatisme et contexte de médecine de catastrophe pour aider au triage.
Bref, c’est peut être encore un peu tôt à mon sens pour des échographes dans toutes les ambulances de SAMU ou dans le coffre de la voiture de SOS Médecins et des médecins généralistes de garde.
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le reportage est issu de la série In vivo du Magazine de la santé de France 5 et montrait une équipe du SAMU de Toulouse
l’illustration est un (NDLR : très mauvais) photomontage représentant un Macintosh et … un Mac Intosh ! A savoir un des 1ers ordinateurs sortis par Apple, et la lame courbe la plus couramment utilisée sur laryngoscope pour l’intubation trachéale, à la différence de la lame de Miller qui est droite.
Ai vu faire un diagnostic d’anévrisme aorte abdominale, fissuré, passer directement de l’ambulance au scan et en salle, sans passer aux urgences, juste parce que le médecin à posé sa sonde sur l’abdomen.
Une vie de sauvée.
Je n’ai pas dit que ça ne servait à rien ou que ça ne pouvait pas faire des miracles.
Je m’interroge sur le coût global, la sensibilité, la spécifité …
Vous faites un raisonnement par l’exemple là.
Quand à l’anévrisme de l’aorte abdominale, je ne l’invente pas c’est dans « L’échographie d’urgence rendue facile » de J.Bowra et R.E.McLaughlin « Ce que l’EG peut vous dire : y a t il un anévrisme de l’aorte abdominale. Ce que l’EG ne peut pas vous dire : est ce que l’anévrisme saigne. L’EG n’est pas sensible pour détecter du sang rétropéritonéal … »
Très intéressant ton article !
Je partage ton avis sur le « partage des richesses ». Finalement on encourage un développement à 2 vitesses, avec des technologies de pointe dans les gros centres, alors qu’il manque des choses de base dans les petits CH périphériques.
Genre on ne paye pas de radiologue pour faire un angioscan pour une suspicion d’EP à 3h du mat’ au fin fond de la campagne, pas rentable car on n’en a pas besoin toutes les nuits… on préfère payer un transfert par SMUR qui coûte la peau du c** quand ça se présente.
Au final, tant mieux pour les grands centres qui voient leurs moyens améliorés, du matériel neuf arriver (en encore…). Dommage que ce soit au détriment des services de proximité…
ps : ton montage est *vraiment* pourri ^^
Parfaitement d’accord avec ton analyse.
A mon sens également l’échographie en situation pré-hospitalière, bien que séduisante sur le papier (réaliser un bilan lésionnel rapide désigné sous un acronyme très tendance: FAST) se heurte à la réalité pratique du terrain et à la compétence de l’opérateur.
Je reste convaincu également que le « stay and stabilize » français, utile dans certaines circonstances, n’est pas l’attitude idéale à adopter dans ce type d’urgence. Et la prise en charge de ce type de patient gagnerait plus à être améliorée par un fléchage particulier ainsi qu’ une réduction sensible du nombre d’intervenants, de l’accident au traitement. Et pas seulement sur la phase pré-hospitalière…
Car si des SMURistes défendent cette nouvelle approche (pourquoi pas, après tout), pas certain que leurs collègues ultérieurs daignent faire confiance à leur diagnostic pré-hospitalier. Cela aussi, c’est une réalité pratique à prendre en compte…
Bref, c’est compliqué 🙂