frottis sanguin à gauche et goutte épaisse à droite sur la même lame pour le diagnostic de paludisme au microscope
Le paludisme, appelé aussi malaria, est une infection tropicale (mais il existe des cas d’importation) dûe à un parasite protozoaire du groupe Plasmodium. On connaît 5 espèces de Plasmodium : falciparum, malariae, vivax, ovale et knowlesi qui infestait surtout le singe. Falciparum est l’espèce responsable des formes sévères appelées Paludisme grave, vivax peut occasionner parfois des formes assez sévères mais rarement mortelles.
L’histoire de la découverte du paludisme est franco-britannique par les travaux au début du XXème siècle d’ Alphonse Laveran et Sir Ronald Ross.
Il y a près d’un million de morts par an du paludisme, 300 à 500 millions de cas par an avec une incidence très forte en Afrique subsaharienne notamment chez les enfants et les femmes enceintes. Les cas européens observés sont liés au « paludisme d’importation », en constante augmentation depuis des années, lié à l’augmentation des voyages. En France, on évalue à 6 à 7000 cas par an de paludisme d’importation.
Le vecteur du parasite est un moustique du genre Anophèle, dont les mesures de lutte pour l’éradication des gites et les mesures de protection sont fondamentales dans la prévention du paludisme. Les raptations de la chimioprophylaxie en fonction des zones de résistance à la chloroquine sont elles aussi indispensables pour éviter la survenue d’infections sous ou mal traitées à risque d’évoluer vers une forme grave.
Le paludisme grave correspond à un sepsis sévère à Plasmodium falciparum. Le parasite effectue un cycle erythrocytaire qui aboutit à une anémie hémolytique. Secondairement les hématies séquestrées créent une obstruction capillaire avec hypovascularisation tissulaire. Un SRIS (syndrome de réponse inflammatoire systémique) va ensuite créer des lésions endothéliales et entrainer les défaillances d’organes.
La notion d’un séjour récent à l’étranger dans une zone où sévit le parasite, est capitale pour suspecter un paludisme. Les signes cliniques ne sont pas spécifiques du paludisme, et c’est un faisceau d’arguments qui amènent à poser l’indication de recherche biologique.
Le début est soit brutal en coma fébrile et ou convulsions, soit progressif mais avec rapidement une prostration. La fièvre est classiquement présente et élevée 39-40° (voire 41° et de mauvais pronostic) mais peut manquer au premier jour. Les autres signes comportent des céphalées, myalgies et arthralgies, parfois une douleur épigastrique, un sub-ictère, une pâleur des téguments mais aussi des troubles digestifs (diarrhée). Tout patient symptômatique qui revient d’une zone d’endémie doit être considéré comme potentiellement infecté par un Plasmodium.
Les formes graves sont basées sur des critères de réanimation dictées en 2000 par l’OMS, puis réétablis en 2007 par analogie avec les critères de sepsis sévères :
Dysfonctions d’organes |
|
Défaillance neurologique |
score de Glasgow < 15 ± neuropaludisme = Score de Glasgow < 10 |
Défaillance respiratoire |
PaO2 < 60 mmHg en air ambiant (FiO2 = 21 %) ± ALI * = PaO2/FiO2 < 300 ± ARDS ** = PaO2/FiO2 < 200 |
Défaillance hépatique |
bilirubinémie totale > 50 μmol.L-1 |
Défaillance cardiovasculaire |
pression artérielle systolique < 80 mmHg ± choc septique = persistance après expansion volémique jugée adéquate |
Défaillance rénale |
diurèse < 0,5 mL.kg-1.h-1 après réhydratation avec créatininémie > 265 μmol.L-1 (> 30 mg.L-1) |
Défaillance hématologique |
hémoglobine plasmatique < 7 g.dL-1 |
Défaillance de l’hémostase |
saignement anormal et plaquettes < 20 g.dL-1 CIVD *** clinique ou biologique |
Dysfonctions métaboliques |
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Acidose métabolique |
bicarbonates plasmatiques < 15 mmol.L-1 ± acidémie = pH < 7,35 |
Acidose lactique |
lactates plasmatiques > 5 mmol.L-1 |
Hypoglycémie |
glycémie < 2,2 mmol.L-1 (< 0,4 g.L-1) |
* ALI = Acute lung injury ; ** ARDS = Acute respiratory distress syndrome ; *** CIVD = Coagulation intravasculaire disséminée
On a pu parler ainsi de neuropaludisme ou accès pernicieux, fréquent et de fièvre bilieuse hémoglobinurique, rare. Les accès graves ne représentent que 3 à 5 % des infections à falciparum et surviennent souvent chez des sujets non immuns, récemment soumis à l’infection palustre.
Le coma est en général calme hypotonique mais peut être entrecoupé d’hypertonie avec rigidité de décérébration ou décortication voire opisthotonos et plafonnement du regard, ce qui peut faire douter avec une méningite.
Les convulsions sont le plus souvent généralisées, se voient beaucoup chez l’enfant avec parfois état de mal convulsif.
D’autres signes neurologiques sont possibles, témoignant de la souffrance cérébrale diffuse.
La splénomégalie s’observe tardivement et a plutôt bon pronostic.
L’insuffisance rénale est souvent fonctionnelle liée au choc, mais peut être une défaillance rénale aiguë organique de mauvais pronostic.
Il doit se faire en urgence, nécessitant la lecture d’une lame d’un frottis sanguin. En cas de négativité on utilise la technique de la goutte épaisse, par concentration du sang pour avoir plus de chances d’observer des parasites au microscope, d’identifier l’espèce et de quantifier la parasitémie. Sa sensibilité est nettement supérieure au frottis mais elle demande du temps, les deux méthodes sont souvent réalisées parfois sur la même lame. Le diagnostic au microscope optique est parfois difficile pour les trophozoïtes (formes en anneaux très similaires pour toutes les espèces).
Il existe plusieurs tests de diagnostic rapide, ils ne devraient être que des tests d’appoint quand un microscope optique n’est pas disponible. Ils se basent sur la détection sur bandelette de l’antigène HRP-2, de la PLDH, de l’aldolase.
En seconde intention, le test QBC (Quantitative Buffy Coat) permet un diagnostic dans les formes douteuses ou quand un traitement a déjà été entrepris, mais ne permet pas le diagnostic d’espèce.
Enfin d’autres méthodes de recherche par PCR sont possibles.
Les examens non spécifiques comportent une numération formule sanguine, ionogramme plasmatique, créatinine sérique, glycémie, dosage des lactates et étude des gaz du sang artériels.
La recherche d’éléments méningés est possible en cas de neuropaludisme, par ponction lombaire (après éventuelle imagerie par scanner cérébral).
La parasitémie est difficile à analyser en tant que facteur pronostique. Elle ne reflète pas forcément toute la charge parasitaire potentiellement active, mais un seuil > 15 % est souvent considéré comme un signe de gravité. Le taux d’HRP-2 reflèterait mieux la biomasse parasitaire.
Les examens d’imagerie n’ont pas de réelle spécifité, ils bilantent les défaillances d’organes : radiographie de thorax, échographie pulmonaire voire scanner thoracique d’un SDRA et oedème pulmonaire lésionnel. L’imagerie cérébrale (scanner) est souvent réalisée dans le bilan d’un coma fébrile, pouvant être normale ou montrer des zones d’ischémie, des foyers hémorragiques ou un oedème cérébral.
Le paludisme grave se traite en réanimation, les formes mineures peuvent être hospitalisées en médecine si la parasitémie dépasse 10 %, qu’il existe un ictère isolé ou une comorbidité. Les autres cas peuvent être traités en ambulatoire même en cas d’infection à falciparum à condition (cf tableaux en bas de page). Mais il existe au final une grande disparité entre les pays européens dans les critères d’hospitalisation.
Les mesures symptômatiques de traitement d’une défaillance viscérale ne sont pas spécifiques : prise en charge d’un coma, ventilation assistée, lutte contre l’oedème cérébral, épuration extra-rénale d’une insuffisance rénale aiguë, optimisation de l’oxygénation d’un SDRA.
Le choc septique est traité par remplissage vasculaire (attention à l’oedème pulmonaire de surcharge) et amines vasopressives (noradrénaline). La surinfection bactérienne est fréquente et nécessite parfois une antibiothérapie à large spectre type Pipéracilline/Tazobactam. Les transfusions de concentrés globulaires, de plaquettes et de plasma frais congelé visent à corriger les anomalies hématologiques profondes.
L’antipaludéen classique du paludisme grave est la quinine par voie intraveineuse, à dose de charge de 16 mg/kg sur 4 h dans 500 ml de G 10 % bien qu’il n’y ait pas de preuves en termes de bénéfices sur la mortalité. Elle est déconseillé si un traitement par quinine, méfloquine ou halofantrine a déjà été débuté.
La dose d’entretien est de 24 mg/kg/j IVSE, schéma qui est préférable à une administration discontinue (8 mg/kg sur 4 h toutes les 8 h) qui oblige à une surveillance plus stricte du fait du risque d’alternance toxicité/inefficacité.
Un relai per os est souhaitable à partir de J4. L’observance risque d’être diminué en cas de cinchonisme : effet indésirable de la quinine lors du paludisme associant acouphènes, baisse de l’audition, céphalées, troubles de la vision, vertiges, nausées, risque d’anémie hémolytique et d’insuffisance rénale. Le traitement est difficile à appliquer en zone d’endémie.
Le dosage de la quininémie pour la surveillance est ainsi plus facile à réaliser, à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit, dosage à adapter en fonction de la présence d’une insuffisance rénale ou hépatique. Avec un objectif entre 10 et 15 mg/l.
La durée de traitement est de 7 jours.
Cependant la surveillance de la quininémie ne reflète pas la quinine libre qui pénètre dans l’éryhtrocyte. La toxicité cardiaque de la quinine impose une surveillance ECG et un monitorage continu. La survenue de troubles du rythme et de conduction, d’allongement du QT doit faire diminuer les posologies. Il y a un risque d’hypoglycémie également.
Pour les paludismes graves de zone partiellement résistantes à la quinine (Amazonie, Asie du sud est), on utilisait en association à la quinine, la doxycycline à la posologie de 100 mg toutes les 12h pendant 7 jours ou clindamycine 10 mg/kg toutes les 8h pendant 7 jours.
En cas de contre-indication (trouble de conduction) ou d’allergie à la quinine, on a utilisé des dérivés de l’artémisine en IM, l’artéméther à dose de 3,2 mg/kg le premier jour puis 1,6 mg/kg pendant 7 jours.
Depuis peu, l’artésunate par voie veineuse est disponible dans les hôpitaux sur demande particulière (ATU : autorisation temporaire d’utilisation) et son efficacité est supérieure à la quinine. La dose initiale de Malacef est de 2,4 mg/kg à H0, H12 et H24 puis 1 dose par jour, pendant maximum 7 jours avec relai per os dès que possible par Riamet (artémether lumefantrine).
Il devient donc le traitement de première intention (y compris chez l’enfant, à la même posologie), et s’il n’est pas disponible avant 2 heures, un traitement par quinine intraveineux doit être débuté et un relai sera pris avec l’artésunate. Pour les nourrissons < 18 mois et le paludisme congénital, il n’y a pas de données permettant de choisir préférentiellement entre artésunate et quinine, il semblerait que l’artésunate soit préférable aussi.
L’artésunate bien que foetotoxique jusqu’à 9 semaines, est possible à utiliser pendant le 2ème et le 3ème trimestre de grossesse au vu de la gravité et du risque déjà présent lors d’une infection pendant la grossesse, de transmission directe avec paludisme congénital (risque de mort in utero, d’avortement spontané, d’hypotrophie foetale et prématurité). Utilisation au cas par cas pendant le 1er trimestre.
Pour les patients infectés venant de Thaïlande ou du Cambodge, une bithérapie intiale avec artésunate et quinine intraveineuse est nécessaire.
Le paludisme grave lié à d’autres espèces (bien que beaucoup moins fréquent) et à traiter de la même façon.
En cas de survenue d’une anémie différée lors du suivi de 28 jours, un bilan d’anémie sera à réaliser.
Les formes non compliquées étaient traitées classiquement par quinine, méfloquine ou en dernier recours halofantrine, en fonction de la zone d’endémie d’origine et des chimiorésistances. Elles bénéficieraient plutôt à l’heure actulle d’un traitement par l’association atovaquone-proguanil ou artéméther-luméfantrine.
Compte tenu du risque d’hémolyse retardée, un suivi est nécessaire avec examen biologique à J3, J7, J14, J21, J28. Il comprend : NFS, réticulocytes, haptoglobine. Le frottis/goutte épaisse de contrôle sera réalisé à J3, J7, J21.
Critères de prise en charge ambulatoire d’un accès simple de paludisme, extrait des RPC 2007 :
Anciens schémas de traitement initial du paludisme d’importation aux urgences en fonction des situations cliniques :
I. Formes graves du paludisme définies par les critères de gravité OMS 2000
• Quinine (Quinimax® : ampoules à 125, 250 et 500 mg) diluée dans du sérum glucosé 5 % : – débuter par une dose de charge : 17 mg/kg de quinine en perfusion de 4 heures ;
– poursuivre par une dose d’entretien : 8 mg/kg de quinine toutes les 8 heures ; soit en perfusion continue à la seringue électrique, soit en perfusion de 4 à 8 heures.
II. Paludisme chez la femme enceinte ou en cas de vomissements incoercibles
• Quinine (Quinimax®) : 8 mg/kg de quinine diluée dans du sérum glucosé 5 % toutes les 8 heures ; soit en perfusion continue à la seringue électrique, soit en perfusion de 4 à 8 heures.
III. Formes non compliquées du paludisme à P. falciparum Choisir un des schémas suivants en fonction de la situation clinique.
• Quinine (Quinimax®, cp à 500 mg ou ampoules à 125, 250 et 500 mg) :
– voie IV : 8 mg/kg de quinine diluée dans du sérum glucosé 5 % toutes les 8 heures ; soit en perfu- sion continue à la seringue électrique, soit en perfusion de 4 à 8 heures ;
– per os : 8 mg/kg de quinine trois fois par jour pendant 7 jours.
• Méfloquine (Lariam®, cp à 50 et 250 mg) :
– per os : 25 mg/kg répartis en 3 prises avec 8 heures d’intervalle entre les prises.
• Atovaquone-proguanil (Malarone®, cp à 250 mg d’atovaquone et 100 mg de proguanil) :
– per os : 4 cp en 1 prise par jour pendant 3 jours.
• Halofantrine (Halfan®, cp à 250 mg, cm suspension buvable à 100 mg/5 ml) :
– adulte, per os : 3 prises de 2 cp espacés de 6 heures à répéter à demi-dose après une semaine ; – enfant : 25 mg/kg en 3 prises à répéter à demi-dose après une semaine.
IV. Formes non compliquées du paludisme à P. vivax, P. ovale ou P. malariae
• Chloroquine (Nivaquine®, cp à 100 mg et 300 mg, cm sirop à 25 mg/5 ml) : –per os : 10mg/kg/j le 1er et le 2e jour, puis 5mg/kg du 3e au 5e jour.
Nouveaux schémas de l’accès simple à Falciparum : d’après ce pdf de référence
En 1ère ligne :
En 2ème ligne :
Le paludisme grave reste grevé d’une lourde mortalité et morbidité avec une évolution imprévisible dans les premières 72 heures.
Il existe de faux médicaments ou trop faiblement dosés pour être efficaces, circulant pour la plupart en Asie.
Un vaccin chez l’enfant est à l’essai.
Centre National de Référence du Paludisme pour la France métropolitaine
BEH, Recommandations sanitaires pour les voyageurs, 2013
Hausfater P, Danis M, Urgences médico-chirurgicales, Carli P, Riou B, Télion C, Arnette
SFMU : L’accès palustre : Diagnostic, Critères de gravité, Prise en charge initiale
La fièvre au retour d’un voyage tropical et paludisme d’importation
Paludisme, support de cours, université de Nantes
SPILF : Recommandations pour la pratique clinique : Prise en charge et prévention du paludisme d’importation à Plasmodium falciparum (révision 2007 de la conférence de consensus de 1999)
Paludisme, DU Thérapeutiques anti-infectieuses, CH Versailles
La résistance aux antipaludiques
Diagnostic du paludisme : frottis sanguin, goutte épaisse, tests antigéniques
Protocole d’utilisation du Malacef, ANSM
ISPUB :
Cerebellar Malaria: A Rare Manifestation of Plasmodium Vivax
Complex Febrile Convulsion And Malaria Induced Psychosis In An African Child
Severe P. falciparum malaria in children in a tertiary care center of Allahabad region of india
Severe Thrombocytopenia And Epistaxis Secondary To Plasmodium Vivax Infection
Problems In Management Of Severe Malaria
Spontaneous rupture of a malarial spleen – A case report and review of literature
Pubmed :
Performance of two rapid diagnostic tests for malaria diagnosis at the China-Myanmar border area
Bad air, amulets and mosquitoes: 2,000 years of changing perspectives on malaria
Acute lung injury and acute respiratory distress syndrome in malaria
et d’autres articles en Open Access sur le site du Malaria Journal
Plasmodium knowlesi and HIV co-infection in a German traveller to Thailand
First case of Plasmodium knowlesi infection in a Japanese traveller returning from Malaysia
Management of imported malaria in Europe
A case of congenital plasmodium vivax malaria from a temperate region in central china
Commentaire avec 15 jours de retard, désolée!
En fait je sais pas ce qui me tue le plus, entre le nombre de cas de palu en zone d’endémie, le fait qu’en plus la grande majorité des cas (et des morts sont des enfants de moins de 5ans, les enfants plus âgés et des femmes enceintes) ou la différence énorme de prise en charge entre dans un pays pourri ou chez nous des cas d’importation. La différence de moyens est vraiment dure à avaler, même si il y a moyen de simplifier pour une prise en charge décente on en est très très très loin…
Bref, il est pas très construit mon commentaire, alors que ton article oui:)
Et comme à chaque fois, je suis épatée de la masse de travail pour produire un papier complet, référencé etc.