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La surdité de Ludwig van Beethoven

Ludwig Van Beethoven

Ludwig Van Beethoven (1770-1827)

Je republie cet article publié sur le site, puis bougé sur Hippocrate puis revenu dans les brouillonsOn ne présente plus ce représentant de la période classique de la grande musique, qui a amené sa transition vers le romantisme. Mais Beethoven n’est pas seulement célèbre pour le génie de son oeuvre mais pour l’infirmité qui l’atteint très jeune, sa surdité.

Beethoven est né à Bonn le 17 décembre 1770 dans une famille modeste qui compte sept enfants. Son père entrevoit très tôt le talent du jeune Ludwig et à l’instar de Mozart dans son enfance, il entreprend d’exploiter les dons de son fils. Le père de Beethoven est dépeint comme un homme brutal, sans scrupules et musicalement assez médiocre. Sa mère est une femme douce mais effacée, elle mourra de la tuberculose en 1787. Beethoven reçoit cependant une éducation bienveillante de la part de la famille von Breuning et du médecin Franz-Gerhard Wegeler.

Il est remarqué en 1784 par le comte von Waldenstein qui deviendra son mécène. Il le présente en 1792 à Joseph Haydn, qui l’invite à venir à Vienne. Il coupe les ponts avec le reste de sa famille que son père a bien de la peine à faire subsister.
Mais les relations avec Haydn, très célèbre à l’époque, ne sont pas bonnes très longtemps, elles s’ombragent de jalousie entre un maître qui se sent en danger devant un jeune talent indiscipliné et arrogant.

A partir de 1796, Beethoven se produit dans différentes grandes villes des actuelles Allemagne, Autriche, et République tchèque, c’est au piano qu’il montre son talent. Il est accueilli de façon réservée par les critiques, mais publiquement il a déjà du succès.
Il compose la sonate pathétique, la première symphonie …

Mais avant 1800, Beethoven connait déjà des troubles auditifs et en 1802, sa surdité est avancée. Il la vit mal, ce qui pour un musicien se comprend aisément, mais elle va le désocialiser beaucoup plus vite qu’elle ne l’aurait sans doute du.
Le testament d’Heiligenstadt est un document qui a été retrouvé après sa mort et qui témoigne de l’angoisse et de la dépression qui frappe Beethoven cette année là. Après avoir rejeté ses idées de suicide, il couche sur le papier son handicap et les raisons qui vont le pousser à s’isoler des autres, par peur d’être moqué. Il y évoque aussi le sentiment d’injustice et une rancoeur contre des médecins qui n’ont pu le soigner, voire qui auraient aggravé son cas.
On ne sait toujours pas avec certitude à quelle étiologie était due cette surdité : otites infectieuses répétées, surdité post-traumatique après une chute, otosclérose, typhus, lupus … L’hypothèse la plus récente (évoquée lors d’une autopsie post mortem en 1827 par Rokitanski) évoque une maladie de Paget avec épaississement osseux et compression de la 8ème paire des nerfs crâniens : le nerf auditif ou vestibulo-cochléaire.
On pourrait aussi évoquer une syphilis tertiaire, aucun élément historique ne tend à confirmer cette hypothèse mais on peut toujours jouer la carte de la syphilis, dans l’histoire ça marche pour à peu près tout (même si les prélèvements récents n’ont pas montré de mercure résiduel or c’est avec ce produit qu’on traitait la syphilis à l’époque).

Beethoven va cependant continuer à composer, et ses oeuvres sont très bien accueillies cette fois. Persuadé que sa surdité ne peut le laisser exercer une carrière de pianiste, il va s’orienter purement vers la composition. D’ailleurs il n’est jamais vraiment satisfait de ce qu’il compose.

Sa 3ème symphonie dite héroïque est célèbre car elle a été dédiée à Napoléon Bonaparte, que les cercles cultivés d’Europe voyaient avant l’empire comme le modèle des leaders politiques éclairés, à la fois bienveillants pour les intellectuels mais un chef à poigne sur son peuple, après l’inquiétant chaos de la révolution française.
La déception sera grande pour Beethoven.

Progressivement Beethoven s’habitue, à sa surdité, ou du moins la tolère pour qu’elle n’altère pas sa production musicale. Sa 5ème symphonie aux quatres notes célébrissimes fait associer dans la culture populaire cette violence à la surdité même de Ludwig.
La 6ème symphonie sera d’autant plus surprenante par sa douceur, mais Beethoven l’a voulu ainsi comme une ode à la nature.

Sa situation financière est confortable jusqu’en 1809. Peu de temps avant, la France qui gouverne la Westphalie lui propose un poste très bien rétribué, mais l’aristocratie viennoise inquiète de voir partir ce talent lui fait une contre-proposition encore plus généreuse. Malheureusement Vienne sera occupée et cette rente par conséquence coupée.
Ses finances vont progressivement décliner jusqu’à la fin de sa vie jusqu’à une situation misérable.

La lettre à Elise, qui d’ailleurs ne s’appelait absolument pas Elise, mais Thérèse Malfatti est un épisode malheureux de la vie sentimentale de Beethoven. Toujours dans des situations compliquées, épris de femmes déjà mariées ou inaccessibles, timide, complexé par sa maladie, Beethoven n’eût jamais de chance en amour. Il n’aura pas de descendants ce qu’il vit mal.

Il connait une période difficile en 1816-1817, gravement malade, de nouveau dépressif, proche du suicide. Il semble que c’est sa foi qui lui permet de se sortir de cet épisode de sa vie. Il adopte alors un comportement pieux et austère.
N’ayant pas de fils, il souhaite adopter son neveu Karl, mais les relations sont tendues entre eux deux, et Karl finira par faire une tentative de suicide, ce qui provoque à la fois un scandale public et bouleverse Beethoven qui prend conscience de son excès d’autoritarisme.
Il part se reposer chez son frère Johann, puis repart pour Vienne.
Il tombe malade à nouveau, de ce qui a été décrit comme une double pneumonie mais qui  s’éternise et se complique. Il souffre pendant quatre mois et meurt le 26 mars 1827.
Son médecin décrira un tableau d’anasarque (c’est à dire des oedèmes diffus et des épanchements dont l’ascite) sur cirrhose hépatique (mais on a aussi évoqué une hépatite aiguë, sarcoïdose, maladie de Whipple, hépatite associée à la maladie de Crohn). Des analyse biologiques récentes sur des cheveux et fragments d’os ont montré un saturnisme, intoxication chronique au plomb, associé à un défaut génétique d’élimination du plomb, et une consommation importante de vins bons marché du Rhin et de Hingrie, « sucrés » aux sels de plomb qu’il avait l’habitude de boire dans une coupe de cristal de plomb.

La 9ème symphonie a été ébauchée dès 1818, longtemps avant sa première représentation de 1824. Beethoven voulait mettre en musique l’Ode à la joie de Schiller. Le thème musical qu’on appelle Ode à la joie dans le 4ème mouvement a hanté longtemps Beethoven et il apparaitrait de manière fugitive dans certaines de ses oeuvres (honnètement je n’ai pas repéré). Les dernières oeuvres de Beethoven n’ont pas marché, il est boudé par le public qui du fait de sa surdité considère qu’il est fini. Néanmoins pour la 9ème il y aura un public. On raconte que Beethoven à la fin du Finale, n’entendant bien évidemment pas les réactions du public, ne comprit son accueil qu’en se retournant et voyant la salle debout l’acclamer.

C’est une symphonie complexe, un peu bizarre même, pas uniquement instrumentale puisqu’elle inclut un choeur dans le 4ème mouvement. Cette oeuvre composée au paroxysme du handicap de Beethoven est une des plus belles pièces musicales que même les allergiques au classique devraient écouter au moins une fois dans leur vie.

ps : l’illustration représentant Beethoven est d’après le célèbre portrait peint par Joseph Karl Stieler en 1820

Références

Biographie de Beethoven , Symphozik.info

Ludwig Van Beethoven, une surdité auto-immune ?

Creativity and chronic disease Ludwig van Beethoven (1770-1827)

Ludwig Van Beethoven : a medical biography

Diagnosing Genius: The Life and Death of Beethoven, NEJM book review

Deafness and liver disease in a 57-year-old man: a medical history of Beethoven (pdf)

Beethoven’s illness: Whipple’s disease rather than sarcoidosis?

Beethoven’s nephropathy and death: discussion paper

[Was Beethoven’s deafness caused by Paget’s disease? Report of findings and study of skull fragments of Ludwig van Beethoven] (abstract)

Music, musicians, medicine, and the kidney (abstract)

Lead and the deafness of Ludwig van Beethoven (abstract)

Treponema pallidum and Ludwig van Beethoven‘s deafness (lien vers article court en espagnol)

Syphilis in composers and musicians–Mozart, Beethoven, Paganini, Schubert, Schumann, Smetana (abstract)

Beethoven‘s terminal illness and death (abstract)

Primary sclerosing cholangitis could have been the cause of Beethoven‘s death (en suédois et pas d’abstract …)

Ludwig van Beethoven and his eyes (maintenant les yeux ! en tchèque et pas d’abstract non plus …)

Libre propos

Mon avis personnel sur Beethoven (après tout je suis chez moi).
C’est un musicien dont je connais l’oeuvre depuis longtemps, en effet j’écoutais de la musique classique étant enfant et assez peu de hip hop il faut bien le dire. Il ne faisait pas partie de mes musiciens préférés parce que … parce qu’il était trop connu en fait ! Et avait cet aspect de musique un peu bourrine il faut bien le dire dû aux 3 premières mesures de la 5ème symphonie. Et ne nous a t on pas sali La lettre à Elise en la bradant à toutes les sauces aussi ?

Je l’ai redécouvert beaucoup plus récemment en 2 étapes. La première il y a un moment déjà c’était le fait de considérer la 9ème symphonie comme de la musique classique mais intemporelle, qui ne ressemblait pas au reste. Il faut avouer que le film Orange mécanique a bien servi aussi cet aspect de modernité. Et pour les jeunes qui me lisent oui Orange mécanique c’est moderne même si c’est un film de 1971 !
La seconde ça était de se lasser du rock et de la pop et de retourner vers des musiques que j’écoutais étant enfant (un signe de vieillissement ?). Et s’il y avait 9 symphonies pourquoi ne pas réécouter un peu les autres ? Et les concertos, les sonates etc etc.
Par contre j’étais capable d’écouter la 3ème symphonie de bout en bout en 1 fois, et aujourd’hui je ne sais pas pourquoi je l’écoutais, il n’y a pas de mélodie qu’on retient dedans (je peux taper dessus, au final Beethoven ne l’aimait plus non plus celle là). J’avoue aussi que ma période opéra est loin derrière moi, et donc je n’ai jamais testé Fidélio

Actuellement, il fait partie des quelques musiciens classiques dans mon iPod avec Brahms, Tchaïkovsky, Moussorgsky, Schubert, Bach, Prokofiev … Parmi mes morceaux préférés :

  • 9ème symphonie op 125 1er mouvement Allegro man non troppo, 2ème mouvement Molto vivace et 4ème mouvement Presto
  • 6ème symphonie Pastorale op 68 1er mouvement Allegretto
  • 5ème symphonie op 67 1er mouvement Allegro con brio et 3ème mouvement Allegro
  • 7ème symphonie op 92 2ème mouvement Allegretto
  • Sonate n°14 Mondscheine (Clair de lune) op 27 1er mouvement Adagio sostenuto et 3ème mouvement Presto Agitato
  • Sonate n°17 Der Sturm (l’Orage) op 31 3ème mouvement Allegretto

Pour ceux qui n’ont pas le temps, un extrait d’Orange mécanique (je suis sympa je vous fais gràce de la reprise au synthé de Wendy Carlos)

Pour ceux qui en ont, la 9ème symphonie dirigée par Willhelm Furtwängler en 1954

4 commentaires sur “La surdité de Ludwig van Beethoven

  1. Symphozik
    30 novembre 2014

    Bonsoir !
    J’ai lu votre article avec intérêt et remarque que le lien « Beethoven sur Wikipedia » n’existe plus. Seriez-vous d’accord pour le remplacer par un lien vers la biographie que propose mon site ? (une biographie courte est même disponible pour les lecteurs les plus pressés)
    En tout cas, j’effectue un lien vers votre très bon article !
    Cordialement,
    Jean-Baptiste

    • Tom O'Graphy
      1 décembre 2014

      Absolument, j’ajoute le lien vers votre site qui a l’air très complet

  2. Louis Guillot
    31 mars 2018

    Vous parlez du thème du 4ème mouvement de la 9ème symphonie qui est présent dans certaines de ses oeuvres précédentes mais vous ne précisez pas, alors je vais vous donner un des exemples les plus évidents je pense, c’est le thème principal de la Fantaisie « Chorale » pour orchestre, piano et choeur (je préfère d’ailleurs celui-ci à celui de l’ode à la joie).

Quelque chose à ajouter ?

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