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petite encyclopédie de l'urgence

Histoire de la peste

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Origines de la peste :

Il est difficile de situer l’origine précise de la peste, on la situe généralement en Asie centrale, mais on a avancé aussi le fait qu’elle devait exister dans l’Egypte pharaonique.
On pense via des études de génome de bacilles que l’origine de l’ancêtre commun est très ancienne, il y a plus de 2500 ans dans le voisinage de la Chine.

Dans la Bible, lle est évoquée comme le fléau majeur à plusieurs reprises. Dieu impose un choix à David : «faut il qu’il advienne 3 années de famine dans ton pays ou que tu fuies pendant 3 mois devant ton ennemi qui te poursuivra, ou qu’il y ait pendant 3 jours la peste dans ton pays» (II Samuel 24 : 25).
David aurait choisi la solution la plus radicale « Yahvé envoya la peste en Israël depuis le matin jusqu’au temps fixé, et le fléau frappa le peuple et soixante dix mille hommes du peuple moururent depuis Dan jusqu’à Beersheba» (II Samuel 24 : 25).

Grèce antique

La peste d’Athènes est connue gràce au récit de l’historien Thucydide au moment de la guerre du Péloponnèse opposant Sparte et Athènes, aux environ de 430-426 avant JC.
«Athènes se vit frappée brusquement et ce fut d’abord au Pirée que les gens furent touchés; ils prétendirent même que les Péloponnésiens avaient empoisonné les puits […] Puis le mal atteignit la ville haute et, dès lors le nombre des morts fut beaucoup plus grand.»
Périclès en mourut.
On décrit la succession des symptômes : «en général, rien ne lui fournissait de point de départ ; elle vous prenait soudainement, en pleine santé. On avait tout d’abord de fortes sensations de chaud de la tête; les yeux étaient rouges et enflammés; le pharynx et la langue étaient à vif, le souffle sortait irrégulier et fétide. Puis survenaient, à la suite de ces premiers sympômes, l’éternuement et l’enrouement; alors en peu de temps le mal descendait sur la poitrine, accompagnée d’une forte toux. Lorsqu’il se fixait sur le coeur, celui-ci en était retourné; et il survenait des évacuations de bile, sous toutes les formes […] Le corps était semé de petites phlyctènes et d’ulcérations».

Il existe un doute dans la description sur le fait qu’il s’agisse bien de la peste ou du typhus.

Rome

De 165 à 180 (et un retour en 190) après JC, la peste antonine, du nom de la dynastie des Antonins, sévit à Rome, sous le règne de Marc Aurèle puis de Commode.
Les historiens anglais l’appellent peste galénique en référence à Galien.
Elle décime la population après le retour des armées de Lucius Verus.
Ce n’est pas forcément la maladie qui a provoqué le retrait des troupes mais des difficultés nombreuses en particulier pour le ravitaillement. Les grands déplacements des armées de l’époque ont par contre bien contribué à la diffuser.

La légende veut qu’un soldat ayant pénétré dans le temple d’Apollon, après la prise de Seleucie sur le Tigre, ait ouvert un coffre qui exhala un souffle pestilentiel.
Galien aurait fui et serait revenu l’année suivante à la demande de Marc Aurèle, et aurait établi la description de l’affection. Marc Aurèle en serait d’ailleurs décédé.
En Orient, la peste se diffuse en Egypte, à Ephèse, à Antioche. Encore une fois il existe un doute sur une réelle peste ou sur la variole.
Galien n’est pas le seul à  l’avoir décrit. Pendant la 1ère période de la médecine romaine (celle avant Galien), Rufus d’Ephèse travailla sur la peste et la lèpre

En 250-260, la peste de Cyprien (du nom de Cyprien de Carthage) sévit dans l’empire romain sous le règne de l’empeureur Trajan Dece. Venue d’Ethiopie, et touchant l’Afrique du nord et l’Europe occidentale, elle était peut être encore d’une autre origine que yersinienne, (le typhus ?).

La peste justinienne

La première épidémie du Moyen Âge se situe entre 541 et 767, on l’a appelé la peste de Justinien, du nom de l’empereur byzantin (483-565) qui n’est pas mort de l’infection, mais dont l’épidémie a gravement perturbé l’empire. Elle sévit dans toute la Méditerranée et atteint son paroxysme en 592.

Elle débute en Egypte, atteint Byzance où elle fait plus de 10 000 morts par jour, et suit les voies commerciales de l’époque. Elle atteint l’Italie puis la France en remontant par le Rhone et la Saône pour se diffuser à l’Europe du nord et traverser la Manche.
A l’est elle se propage à la Syrie et à la Chine.

Grégoire de Tours l’évoque dans Histoire des Francs, à Arles en 549 «cette province est cruellement dépeuplée» à Clermont en 567 «un certain dimanche on compta 300 cadavres dans la cathédrale». Il décrit la lésion : « Il naissait à l’aine ou à l’aisselle une plaie en forme de serpent dont l’action sur les hommes était telle qu’ils rendaient l’âme le deuxième ou le troisième jour et que sa violence ôtait complètement le sens. »

En 588 elle est apportée à Marseille et s’étend en 591 à toute la Gaule. A l’hiver 589, la peste de Justinien frappe lourdement Rome et tue le pape Pélage II.

La peste noire 1345-1352

Le 1er épisode de peste recensé en Europe a lieu à Gênes en 1347, haut lieu de commerce de par son port. Des Gênois revenaient d’un comptoir situé à Caffa, sur les rivages de la mer Noire où ils avaient subi une attaque des Mongols. Ceux ci avaient catapulté par dessus les murailles, les corps des guerriers morts de la peste. 1ère utilisation d’arme bactériologique.
Ils ont diffusé pendant le voyage de retour, la peste sur Constantinople puis en Sicile et enfin à Marseille. 3 ans + tard tout le continent européen est victime du fléau de la peste noire.

En 5 ans, elle tue 25 millions d’individus, c’est à dire la moitié de la population européenne de l’époque, ou le tiers de la population mondiale connue : 100 000 morts à Venise, 25 000 à Lyon, 50 000 à Paris dont la reine.
Il mourait 500 personnes par jour à l’Hôtel Dieu.

Les médecins sont impuissants à soigner les pestiférés, ils sont même obligés de vêtir des tenues d’isolement pour ne pas se contaminer et contaminer d’autres malades (bien qu’à l’époque on ne connaisse rien de la microbiologie et de la transmission des germes).
La peste noire de 1348 a eu de graves conséquences économiques.

Guy de Chauliac (1295-1351) est le médecin des papes d’Avignon Clément VI (qu’il a d’ailleurs trépané), Innocent VI et Urbain V, grand théoricien de la chirurgie (on lui doit le perfectionnement des sutures via l’aiguille et les premiers systèmes de traction).
Il s’est distingué au cours de l’épidémie de peste en décrivant la forme pulmonaire et la forme bubonique. C’est un des rares médecins de l’époque qui n’ait pas fui devant le fléau.

L’extension de la peste noire est dramatique : en 1347 elle a donc touché une partie de l’actuelle Turquie, la Sicile, la Sardaigne, la Corse et la région de Marseille. L’extension va être rapide dans toute l’Europe, et à la fin 1349, l’Italie, la France, l’Espagne, la Grèce sont entièrement touchées ainsi que le sud de l’Angleterre.
Après 1351, même la Scandinavie et la partie européenne de la Russie sont touchées.
Il existe quelques poches qui seront épargnées, notamment dans la région de Milan et de Bruges et une vaste zone dans l’Europe du Nord s’étendant à la partie est de l’Allemagne le nord de la Tchéquie et la Pologne, mais la côte nord et de la mer baltique auront forcément des cas tardifs.

Après cette grande peste, au Moyen Âge on dénommera ainsi toute épidémie qui présente des symptômes similaires (et qui au début de la maladie ne sont pas spécifiques) ou qui entraine une mortalité importante par une transmission interhumaine rapide.

A partir de la Renaissance

La peste devient secondaire. La syphilis fait des ravages en étant appelée mal de Naples, puis mal des Français et des Espagnols, mais elle sévit toujours.
Entre 1397 et 1600 on note régulièrement des cas dans les villes, mais qui ne s’étendent pas. C’est le cas de la peste d’Arles qui débute en 1579 et se termine en 1581, en pleine époque de guerre des religions, avec semble t il une récidive en 1587.

La conquête de l’Amérique par les Européens a été l’occasion d’un choc social mais aussi sanitaire et de nombreuses épidémies apportées par les Européens contribuèrent à les décimer, ce qui facilité l’annexion : grippe, varicelle, rougeole, fièvre typhoïde, tuberculose, typhus, oreilles et surtout la variole, mais la peste pulmonaire y a contribué aussi

Au XVIIe

Une nouvelle épidémie sévit en France entre 1629 et 1631, à Lyon on instaure un système de surveillance rigoureuse, les ordonnances imposaient le nettoyage des logements des pestiférés, la mise en quarantaine des familles, l’interdiction de vente des vêtements.

Entre 1664-1665 la peste de Londres entraine la mort de 100 000 personnes sur une population de 450 000. Il n’y a pas eu de transmission vers le nord de la France ou Paris gràce aux mesures préventives de Colbert, mais elles auront un lourd tribut économique et aussi au retour de l’hiver
Elle aurait pour origine un foyer aux Pays Bas.
En 1664 elle début doucement à cause des grands froids de l’hiver et passe presque inaperçue, mais le printemps et l’été 1665 étant particulièrement chauds elle prend de l’ampleur.
La famille royale quitte la ville et ne revient qu’au début 1666.

Il existe un témoignage dans le roman de Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusoé,  Journal de l’année de la peste, de 1720.

Au XVIIIe

Le 27 mai 1720, contrairement aux règlements de la police sanitaire, les autorités ont autorisé le capitaine du navire «Le grand Saint Antoine» en provenance du Levant (Syrie) à faire débarquer ses hommes d’équipage alors que la mort de plusieurs matelots était survenue au cours de la traversée.
Sans doute intéressés par les cargaisons du navire (étoffes en soie, balles de coton), ils ont ainsi autorisés l’importation de la peste qui décimera 40 000 personnes à Marseille, 100 000 en Provence.
La responsabilité exacte  de l’allègement des mesures de prévention n’est pas connue précisément, mais il y a eu clairement une négligence dans les procédures.
Le régent Philippe d’Orléans établit des mesures d’isolement qui ont permis de circonscrire l’épidémie à la Provence.
L’évacuation des cadavres du quartier de la Tourette sera fait par les galériens de l’Arsenal des galères.

Le tableau de Michel Serre «scène de la peste de 1720 à la Tourette» représente l’inhumation des cadavres.

Marseille connaissait une situation financière en voie d’amélioration après de grandes dettes depuis le XVIIe, gràce à un commerce en plein essor. Les produits du Levant atteignent des records.
En 1580 la ville avait déjà connu une épidémie de peste ce qui avait incité à la mise en place de mesures spécifiques de quarantaines pour les équipages via des bureaux de santé et des délivrances de patentes. Les lieux de quarantaine se situent sur l’île de Harre au sud de la rade de Marseille ou à l’île de Pomègues. Des infirmeries appelées lazarets (sous la protection de Saint Lazare) recueillent les équipages.

En 1797 le Maroc subit une épidémie pendant 3 ans.

Au XIXe

Dans les campagnes napoléoniennes, de nombreuses épidémies sont responsables de pertes sévères dans la Grande Armée, en particulier le typhus, mais des cas de peste sont possibles.
Celle-ci sera au premier plan, au début de l’ascension de Napoléon en 1799 quand il n’est pas encore empereur, pendant la campagne d’Egypte où il dirige l’armée d’Orient.
Avant de conquérir la Syrie, elle freine considérablement la progression des troupes, et sera même la cause de l’arrêt de cette campagne.

Cet épisode est illustré par le tableau «Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa» d’Antoine-Jean Gros.

Le reste du XIXème siècle connaitra d’autres épidémies localisées (1817 Algérie, 1828 Balkans).

La découverte du bacille par Yersin

En 1894 une épidémie de peste à Hong Kong va permettre l’identification de l’agent responsable gràce à Alexandre Yersin (1863-1943) qui isole le bacille cette année-là.
Ce médecin suisse ayant travaillé à l’institut Pasteur, occupait un poste de médecin des messageries maritimes, et était en voyage en Extreme Orient.
Des bactériologistes japonais de la mission de Kitasato avaient été dépéchés par le Japon pour découvrir l’origine, mais Yersin réussit à les devancer.
Il examine clandestinement des cadavres et observe le liquide des bubons au microscope.
Il découvre le rôle du rat dans la transmission après avoir constaté que les «rats crevés que l’on trouve dans les maisons et les rues contiennent presque tous dans leurs organes le microbe en grande abondance; beaucoup d’entre présentent de véritables bubons».

Il ne découvre cependant pas le rôle de la puce portée par le rat, et se trompe en décrivant une transmission par les plaies ou le tube digestif.
C’est Paul Louis Simond de l’institut pasteur qui établira le rôle de la puce comme agent vecteur.
En 1895 Yersin avec Albert Camette et Emile Roux mettent au point un serum.

La peste de Chine va devenir une pandémie et touchera le Japon, Madagascar, le Portugal, puis l’Australie et la côte ouest des Etats Unis. L’Europe est relativement épargnée.

En 1897 Waldemar Haffkine met au point un vaccin suite à une épidémie à Bombay en 1896, il est fait de germes tués, appelé lymphe d’Haffkine.
Différents serums sont produits, un en 1908, un autre en 1921 vaccin aqueux produit par l’institut Pasteur.
En 1932 Girard et Robic mettent au point un vaccin préparé avec des bacilles à la virulence atténuée, ce vacin EV (pour Evesque, nom de la victime sur laquelle la souche avait été isolée) restera le seul traitement efficace jusqu’à l’utilisation des 1ers antibiotiques.

En 1929 ce sera la peste des chiffonniers à Marseille et Paris.

de nos jours

Les cas européens sont devenus rarrisimes. Le dernier cas en France date de 1946.
Ce n’est pas la même chose dans le reste du monde.
Dans les années 1990, quelques cas ont été relevés en Amérique mais c’est surtout en Afrique et en Asie, et cette maladie est considérée comme réémergente. Un chiffre moyen de 600 cas par an dans le monde est avancé, mais il est extrèmement variable et s’approche plutôt de milliers de cas.

Il y a une évolution depuis les années 70 avec beaucoup plus de cas africains, même si le paludisme et le SIDA y sont bien plus meurtriers.

La peste a été utilisée comme arme bactériologique par l’armée impériale japonaise lors de l’invasion de la Chine pendant la seconde guerre mondiale. Des équipes américaines et russes ont certainement travaillé sur des bacilles de peste en tant qu’arme bactériologique
En matière de bioterrorisme, son utilisation n’est pas à exclure (à l’instar de l’anthrax ou charbon), mais elle semble difficilement maniable (contrairement aux armes chimiques et nucléaires).
En 1952, la Corée du nord avait accusé les Etats Unis de répandre la peste dans le pays.

La liste des cas déclarés en fonction des pays est très longue :
1988 Madagascar, 1991 Tanzanie, 1992 Birmanie, 1994 Inde, Mozambique propagée au Zimbabwe et Malawi, Pérou, 1997 Jordanie.
L’Inde est sévèrement touchée avec des 10aines de millions de morts pendant la 1ère moitié du XXe.
2003 Algérie, 2004-2006 Congo, 2009 Chine, 2010 Pérou …

les traitements

Ils ont été variés et la plupart du temps totalement inefficaces devant une maladie à l’évolution très rapide.
Au temps de l’Antiquité des traitements inoffensifs comme la thériaque ainsi que l’invocation des dieux n’ont pas changé grand chose.

Au Moyen Âge, les purges et les saignées ont certainement hâté la mort des pauvres malades infectés.
Les processions religieuses d’expiation d’un châtiment divin n’ont servi qu’à fédérer les populations et se chercher un bouc émissaire, créant ainsi des persécutions notamment sur les Juifs.

Seules les mesures d’isolement vont permettre de contenir avec plus d’efficacité au cours des siècles les épidémies. La peste de Marseille est un bel exemple de défaut des mesures de protection sur une épidémie qui n’aurait pas du se produire.
Les mesures de protection individuelle ont permis de protéger les soignants. De nombreuses tuniques ont été utilisées mais parmi elles, celle au masque pointu en bec de corbeau est emblématique des épidémies de peste. Le masque au bec de corbin (comme l’autre extrémité pointue du marteau de guerre), aurait été inventé par Charles de Lorme, le médecin de Louis XIII vers 1619. Il était généralement rempli de plantes aromatiques, de parfums ou de vinaigres …
Pendant la peste noire, le pape incite des médecins à se consacrer à cette maladie et les autorise même à réaliser des autopsies afin de découvrir l’origine du mal, ce qui n’a permis en rien de faire avancer la compréhension de la maladie et a sans doute, vu la résistance du germe à la putréfaction, encore plus exposé les soignants à la contagion.
Il est possible que ces « médecins de peste » aient été recrutés parmi les médecins les moins performants et les plus jeunes praticiens.

Il n’y a pas de preuves d’efficacité des différents sérums utilisés par Yersin ou d’autres. De même pour les vaccins, qui ont finalement été abandonnés relativement récemment.

L’utilisation courante des antibiotiques ne se fera qu’au milieu du XXème siècle.
La streptomycine, un des antibiotiques de référence pour la peste, est découverte en 1944.

Voir aussi : Peste, aspects cliniques

Références

B. Halioua, Histoire de la médecine, Abrégés Masson

beaucoup de ressources sur Wikipedia sur le sujet avec notamment une liste des épidémies de peste :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_épidémies_de_peste

sur le masque de protection :

http://transenprovence.over-blog.com/pages/La_peste_de_1720_les_annexes-491536.html

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