thoracotomie

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Oxygène et infarctus

oxygène infarctus

photomontage de grande qualité montrant un coeur collé sur une bouteille d’oxygène

C’est un thème qui revient de temps en temps, l’étude AVOID est sortie (Air Versus Oxygen in Myocardial Infarction). Elle montre ce qui était déjà supposé, le non bénéfice et même l’aggravation de la situation quand on emploie l’oxygène quand ce n’est pas nécessaire, au cours des syndromes coronariens aigus.Plus particulièrement c’est au cours des STEMI, c’est à dire les SCA qui vont donner un infarctus du myocarde. C’est pour ça que je ne dis pas seulement SCA ST + puisque certains SCA non ST + (ST – ou ECG normal ou analysé comme tel, ou enfin non contributif).

Ca parait un peu évident maintenant que c’est publié, mais ce n’était pas aussi évident que ça avant. Finalement il faut viser la normoxémie, et pas une hyperoxémie. Ca n’existe pas vraiment ces termes, mais spontanément on comprend que finalement en faire trop ne fera pas mieux. Maintenant on prouve même qu’on fait pire (ça c’est du vocabulaire scientifique !).

Donc l’étude AVOID a pris en compte des SCA évocateur de lésion ischémique avec nécrose (441 STEMI donc) de moins de 12 heures, avec saturation en oxygène en air ambiant > 94%. Sur l’ECG il fallait une élévation du segment ST dans 2 dérivations contigues ou plus. Et une orientation vers un centre d’angioplastie en urgence (donc a priori pas s’il y avait une thrombolyse envisagée à la place). Deux groupes : 1 avec oxygène au masque à 8l/min et l’autre pas d’O2 sauf s’il y avait une chute de la SaO2 < 94% auquel cas ils réalisaient une « titration » de l’O2 pour faire resaturer à 94%. Arrivés au centre de coro, chaque groupe était maintenu concernant l’O2, c’est à dire 8l dans le « cath lab » dans le 1er groupe et pas d’O2 dans le 2d. L’évaluation a porté sur les enzymes cardiaques (Troponine Ic pas ultrasensible et CK-MB) pendant les 72 heures, une IRM cardiaque et un suivi à 6 mois.

Les résultats : augmentation du risque de récidive d’infarct × 5 et augmentation du risque arythmogène. Zone d’infarctus plus étendue sur l’IRM à 6 mois. Pas d’effet bénéfique constaté dans le groupe oxygène et comme ils disent sur ScanCrit « hormis le joyeux bip sur le moniteur mesurant 100% de SaO2 ».

Voilà. Petite étude mais résultats assez convaincants et qui confirment ce qui était supposé. Et qui parait assez logique, parce que la saturation même si elle n’est pas tout à fait normale (un patient qui a spontanément 94% de SaO2 ce n’est pas terrible quand même s’il n’est pas connu comme insuffisant respiratoire), disons qu’à 94% en aigu, on est assez content d’avoir ça quand même. L’étude ne répond pas malheureusement à une utilisation plus modeste de l’oxygène, c’est à dire à 2 ou 3 l/min en lunettes (là c’est quand même 8 l au masque). Mais ce débit de 2 ou 3 c’est sans doute de l’homéopathie dans ce contexte. Attention sans doute pas dans toutes les situations, et chez le BPCO. A priori il y a d’autres études en chantier sur le sujet comme l’étude DETO2X.

Outre la critique sur le débit, sur l’étendue de l’infarctus : il est mesuré en IRM et donc c’est purement morphologique, pas fonctionnel. Il aurait été intéressant peut être d’avoir une évaluation en échocardiographie pour mesurer précisément l’hypokinésie et le retentissement sur la fraction d’éjection et de raccourcissement. Mais intuitivement, surtout que dans un coeur il n’y a quand même pas une place folle (même si certains vantent le polyamour à l’heure actuelle …), donc plus l’IDM est étendu, et plus ça va mal se passer dans l’avenir +/- proche.

En conclusion, ne pas considérer l’oxygène comme juste un truc qu’on met systématiquement sur le nez du patient mais vraiment comme un médicament et peser ses indications.

Je remet le texte que j’avais écrit en 2011 :

On prescrit l’oxygène dans les insuffisances respiratoires primaires, les états de choc, la quasi totalité des affections cardiaques aigües (oedème pulmonaire cardiogénique). On ne se pose plus vraiment la question, tant le statut de «malade» donné par le port de lunettes à oxygène fait espérer à tout le monde un effet thérapeutique et au minimum placebo.

Cependant on sait que le flux d’O2 apporté par ces lunettes est très faible (surtout si les lunettes oxygènent la pièce et pas le malade), qu’une sonde nasale est plus efficace mais plus désagréable à porter, que le masque surtout avec un dispositif à haute concentration est le plus riche en O2 (il est parfois mal toléré chez des patients qui ont l’impression d’étouffer).

On sait que l’utilisation au long cours d’oxygène chez les insuffisants respiratoires doit être interrompue au cours d’une journée (du moins au début de l’IRCO) car l’oxygène peut être toxique pour les poumons. On sait aussi que de faibles débits dans les décompensations de BPCO non sévères, sont préférables en tolérant une petite hypoxie ou en ne visant pas une saturation idéale, pour ne pas faire grimper l’hypercapnie. Que l’oxygénothérapie ne suffit pas et qu’il faut souvent utiliser la ventilation non invasive pour éviter le recours à l’intubation trachéale.
Les plongeurs connaissent aussi les risques de l’hyperoxie au niveau cérébral (et pulmonaire dans une moindre mesure).

Il pourrait y avoir un 3e problème : une méta-analyse portant sur des études de prise en charge d’infarctus du myocarde (IDM) retrouvent des chiffres assez curieux, avec une morbi-mortalité plus importante dans les situations d’utilisation d’oxygène.
Ceci peut peut être s’expliquer par le fait que les IDM qui ont bénéficié d’oxygène étaient aussi les plus sévères, avec logiquement plus de complications.
D’autres biais sont possibles car les études sont d’âge très différent (1976-1997-2005) et les traitements de reperfusion ont beaucoup progressé en peu de temps.

L’étude porte aussi sur la douleur. Il est assez logique que l’oxygène seul ne suffise pas à titre antalgique et qu’à choisir entre oxygéner et administrer un antalgique efficace, quitte à ce que ce soit une dose titrée de morphine, c’est la 2e solution qui est à envisager. Le risque d’hypoventilation lié aux morphiniques est faible dans ce contexte (de toutes façons on utilise jamais de doses très fortes).

Dans les années 1950 on a aussi montré que l’administration d’oxygène dans l’infarctus ne réduisait pas la durée de la douleur et prolongeait les modifications ECG, mais il n’y a pas eu de suites.

Un effet paradoxal au niveau coronarien est possible par augmentation des résistances vasculaires et réduction du débit coronaire, mais il concernerait une hyperoxie thérapeutique et donc à conséquence iatrogène, une réduction de la consommation d’oxygène par le myocarde et donc le myocarde endommagé.

Dans les IDM de petite taille sans complications majeures, l’oxygène est peut être inutile mais pas dangereux, mais dans les IDM massifs et mis sous masque à haute concentration, une hyperoxie pourrait aggraver les lésions.
Jusque là il n’y a pas eu de preuve de l’efficacité de l’oxygène dans les SCA. La méta-analyse n’apporte pas de preuve directe d’un effet néfaste mais le problème reste plausible et donc à clarifier.

Références

En français vous pouvez lire cet article par @nfkb et @Rhazelovitch sur l’oxygène et la BPCO, ainsi que dans les SCA

Oxygen therapy for acute myocardial infarction , AVOID Oxygen? Evidence of Harm in MI , Medscape

AVOID the oxygen , Oxygen enough already , Scancrit

L’oxygène est un médicament comme les autres , NFKB blog

AVOID study (diapos de présentation)

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Cette entrée a été publiée le 7 décembre 2011 par dans Actualités, et est taguée , , , , , , , .

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