Pour le lecteur pressé :
Le terme phlegmon décrit un processus infectieux plus diffus qu’un abcès, mal circonscrit, plus mutilant aussi.
La localisation aux gaines synoviales qui entourent les tendons tend à devenir plus rare depuis l’usage courant des antibiotiques. Mais cette relative rareté implique aussi que les formes avérées échappent souvent à un diagnostic précoce.
Sommaire
Les tendons des muscles fléchisseurs des doigts sont entourés d’une membrane fine qui sécrète un liquide fluide, la synovie, comme dans les articulations et qui sert à faciliter la mécanique des mouvements.
Chaque tendon possède ainsi sa gaine synoviale dans les zones qui traversent un canal fibreux dur (au doigt le canal digital ; au poignet le canal carpien, à la cheville le tunnel tarsien).
L’anatomie des gaines est complexe, et il existe des communications entre elles ce qui explique certains cas de propagation d’infection d’un doigt vers l’autre (phlegmon à bascule).
La cause est une contamination via une plaie souillée. La voie sanguine ou par foyer infectieux de contiguité sont rares.
C’est donc une infection de plaie, qui ajoute au risque septique, le risque traumatique. Une plaie minime est souvent négligée ce qui laisse du temps à l’infection de se propager.
Beaucoup de germes peuvent être responsables, des staphylocoques, des streptocoques, mais aussi ceux rencontrées dans les morsures comme Pasteurella.
Le risque tétanique existe comme pour toute plaie.
L’évolution vers une cellulite du membre ou une septicémie est possible mais rare. C’est surtout la destruction du complexe tendineux avec perte fonctionnelle du doigt qui se produit à grande vitesse.
Le mécanisme est valable pour d’autres localisations qu’aux doigts (extenseurs du poignet, fléchisseurs et extenseurs du pied).
Au début le patient ressent spontanément une douleur dans le doigt, sur le trajet de la gaine, et majorée aux mouvements (en extension passive puisqu’on étire la gaine).
Il y a un oedème localisé sur 1 ou 2 phalanges, la plaie initiale n’est parfois plus visible (difficulté du diagnostic sur les mains trapues de travailleurs manuels qui sont aussi les plus à risque).
Un signe fiable est la douleur provoquée à la pression des zones de «culs-de-sac» inférieurs des gaines digitales, là où se collecte le pus.
La déformation en crochet du doigt est un signe inconstant et trompeur qui peut se voir dans les stades précoces par attitude antalgique comme aux stades tardifs où elle est irréversible par rétraction tendineuse.
Progressivement on voit s’installer une impotence fonctionnelle en flexion, l’oedème s’étendre sur la hauteur du doigt, et une augmentation de la douleur, chaleur et rougeur locale. On peut parfois voir une traînée inflammatoire de lymphangite se dirigeant vers l’avant-bras. Il peut y avoir une réaction de fièvre, des ganglions à l’aisselle (mais ils sont plus discrets que dans une cellulite ou une fasciite nécrosante).
Le dernier stade est moins douloureux, moins inflammatoire surtout vu tardivement, mais avec destruction installée. Le doigt est fixé dans une attitude vicieuse, incapable de remplir sa fonction.
Ces signes ne sont pas spécifiques et se rencontrent aussi en cas d’ostéo-arthrite. Il faut toujours pratiquer un bilan radiographique pour éliminer ce dernier diagnostic mais les lésions radiologiques sont souvent en retard par rapport aux lésions cliniques.
Le diagnostic différentiel se pose avec les autres atteintes infectieuses de la main : panaris de la pulpe et des faces latérales , panaris unguéal , ostéïte digitale, et plus rarement avec une ténosynovite des fléchisseurs inflammatoire mais non infectieuse, sur terrain de polyarthrite rhumatoïde.
Le diagnostic est purement clinique, il est souvent retardé car parfois on n’est pas sûr du diagnostic et on laisse traîner les choses. L’imagerie est ainsi un piège puisque soit on ne voit rien (radiographies) soit on risque de perdre du temps à la faire réaliser en cabinet de radiologie/échographie/IRM.
Il n’y a pas non plus de parallélisme biologique, il ne faut donc pas compter sur une hyperleucocytose ou une élévation de la VS et de la CRP.
Pourtant l’utilisation grandissante de l’échographie aux urgences pourrait être une aide utile à un diagnostic qui peut faire hésiter. Avec une sonde haute fréquence, en se basant sur l’étude de la ténosynovite inflammatoire, on compare l’asymétrie clinique de la main en recherchant une zone oedémateuse directement autour des tendons fléchisseurs, sous forme de zone très bien limitée anéchogène faisant ressortir l’isoéchogénicité des tendons et l’existence éventuel de débris voire de corps étangers dans la gaine. Le tendon apparaît épaissi et oedématié. Elle est cependant plus difficile à interpréter au niveau digital et paraît donc quand même d’un apport modéré.
Pour le lecteur pressé :
Le diagnostic étant difficile dans les formes débutantes, on risque de sous-évaluer la situation et de différer l’exploration. Une intervention « blanche » a pourtant peu de risques (même si une opération n’est jamais bénigne) et un phlegmon opéré tôt récupère complètement.
L’attitude attentiste employée dans les panaris débutant (antiseptiques, antibiothérapie, immobilisation, réévaluation) n’est pas envisageable, l’antibiothérapie est particulièrement inefficace et ne protège pas le tendon. Et en cas de doute il vaut mieux demander l’avis de quelqu’un d’expérience que de différer.
La chirurgie de la main dans une atteinte septique peut se pratiquer sous anesthésie loco-régionale mais il est parfois préférable surtout en cas d’atteinte vue tardivement de réaliser une anesthésie générale.C’est plus par méconnaissance que le diagnostic n’est pas porté, et pourtant il n’existe quasiment pas de diagnostic différentiel pour cette présentation.
Les phlegmons qui sont des infections des parties molles peuvent évidemment se développer préférentiellement sur terrain fragile, diabétique, immunodéprimé. La prise en charge des comorbités doit être évaluée par l’anesthésiste, et la possibilité de complications envisagée.
Le seul traitement étant chirurgical, c’est une chirurgie d’exérèse de tissus souillés la plupart du temps. Seuls les stades débutants seront lavés sans exérèse de la gaine synoviale.
Dans tous les cas il faut faire un parage de la porte d’entrée (c’est à dire nettoyer la zone qui a fait pénétrer le corps étranger sous la peau et exciser les tissus dévitalisés).
On repère l’endroit de la gaine synoviale qui a été percée, et on réalise un prélèvement du liquide synovial. Son aspect macroscopique détermine le traitement à adopter. Il sera réalisé une analyse bactériologique à la recherche du ou des germes responsables.
Au 1er stade, on procède à un lavage bifocal au serum physiologique par cathétérisation de la gaine via 2 incisions afin d’ouvrir la gaine à chacune de ses extrémités. Une incision en regard de la dernière phalange et une en regard des têtes de métacarpiens pour les atteintes des phlegmons au doigt. L’incision peut remonter très loin au poignet en cas d’atteinte de la gaine commune des fléchisseurs.
On peut se passer de drains et d’antibiotiques en post-opératoire et commencer une mobilisation de la main rapidement.
Au 2d stade il faut faire une synovectomie, c’est à dire l’exérèse de la gaine synoviale, partielle ou totale en fonction de l’aspect des lésions, via une incision étendue sur toute la hauteur du doigt ou du poignet.
Au doigt, en cas d’exérèse totale, la difficulté réside dans le fait de retirer toute la synoviale, en curetant les poulies de réflexion tendineuses et sans toucher aux vincula (bandelettes fibreuses qui contiennent les minuscules vaisseaux qui nourrissent les tendons).
La main sera immobilisée en post-opératoire.
Au stade 3 ce sera une excision des tissus nécrotiques et de tous les éléments du canal digital. C’est une chirurgie mutilante mais nécessaire car toute persistance d’élément encore infecté entrainera la réactivation de l’infection après l’opération. La porte d’entrée cutanée est laissée ouverte largement et en cicatrisation dirigée.
L’amputation est envisagée sur des cas très évolués avec diffusion aux tissus cutanés et osseux.
La reconstruction tendineuse déjà difficile dans les plaies traumatiques non infectées, est ici encore plus complexe et ne peut se concevoir qu’après certitude de guérison de l’infection.
Les phlegmons à bascule sont traités par des incisions très extensives, puisque de principe il faut traiter 2 gaines en même temps, et la communication se fait dans la région carpienne au poignet.
L’antibiothérapie est discutée en per et post-opératoire. théoriquement inutile dans le stade 1, elle fera appel à une stratégie empirique active sur staphylocoque et streptocoques, par pénicilline s’il n’y a pas d’allergie (sinon par aminosides). L’antibiogramme ne revient pas toujours positif pour un germe donné.
Les phlegmons des gaines digitales, C Sokolow, Infections de la main, Monographie de la société française de chirurgie de la main ainsi que Traité de chirurgie de la main, R. Tubiana
Les infections de la main via http://www.christopheoberlin.com qui reprend le contenu du Manuel de chirurgie du membre supérieur, libre de droits
Faculté de médecine de Montpellier : Infection des parties molles (Panaris et Phlegmon des gaines, 2010) pdf téléchargeable
Tenosynovitis , Medscape
Common acute hand infections , AAFP
Pubmed pour infectious tenosynovitis
Bedside Ultrasound Identification of Infectious Flexor Tenosynovitis in the Emergency Department
Tenosynovitis pf the right hand (pdf)
Bites to the hand: are they more than we can chew?
Pyogenic flexor tenosynovitis of the hand : sonographic findings (espagnol)
petite synthèse sur les signes cliniques de phlegmon
sur les infections de la main
échographie d’un phlegmon des gaines synoviales
lavage d’un phlegmon de la gaine
un peu hors sujet mais pour donner une idée du principe de la synovectomie :