C’est une des pathologies les plus fréquentes rencontrées en service d’accueil des urgences, et une aussi pour lesquelles les traitements restent très variés et pas toujours adaptés à la situation.
C’est l’atteinte de l’articulation tibia péroné (fibula) astragale (talus) depuis la simple distension à la rupture complète des ligaments. Les entorse externes sont plus fréquentes que les entorses internes.
Le terme d’entorse n’est pas très précis et sous l’expression « entorse de cheville » on peut décrire finalement beaucoup de choses. L’entorse proprement dite est une atteinte ligamentaire, qui ne détermine pas par ce mot la gravité et donc le retentissement. L’articulation de la cheville est une articulation synoviale, renforcée par une capsule articulaire, elle même renforcée par des épaississements fibreux que sont les ligaments de l’articulation tibio-astragalienne. Les ligaments les plus décrits sont le ligament latéral externe (ou collatéral latéral, péronier ou fibulaire donc) et le ligament latéral interne (collatéral médial, tibial donc). Le ligament externe s’insère sur la pointe de la malléole péronière et se dirige ensuite vers le pied, en 3 faisceaux : antérieur s’insérant sur le talus/astragale, moyen et postérieur sur le calcanéum. Schématiquement l’atteinte du nombre de faisceaux détermine la gravité de l’entorse, mais c’est un peu plus complexe que ça. Le ligament interne est souvent peu atteint car il est assez robuste, et un peu en éventail. On décrit aussi un ligament tibio-péronier inférieur qui a son rôle dans la stabilité de la cheville puisque son atteinte sévère va créer un espacement entre le péroné et le tibia.
Dans la forme typique, suite à un mouvement forcé en varus (c’est à dire le pied tournant vers l’intérieur du corps), le patient ressent une instabilité qui le fait chuter, une douleur vive autour de la malléole du péroné, il peut percevoir un craquement. Un oedème parfois très volumineux va se former en regard de la pointe de la malléole du péroné et de la région du ligament latéral externe. Dans les jours qui suivent, une ecchymose apparaitra (s’il y a eu rupture d’au moins un faisceau ligamentaire).
Dans l’entorse bénigne, il n’y a quasiment pas d’oedème, l’impotence fonctionnelle est réduite, le patient peut remarcher très vite sans boîter.
Dans les entorses de gravité intermédiaire, il y a souvent un intervalle libre entre le traumatisme et le paroxysme des douleurs (souvent plusieurs heures) autorisant souvent le patient à rentrer chez lui, mais l’empêchant de dormir la nuit.
Dans les entorses sévères, l’appui est très instable voire impossible.
Le vocable d’entorse de gravité moyenne ou intermédiaire est assez flou et dépend finalement de l’impression clinique.
critères d’Ottawa pour la réalisation de radiographies dans les entorses de la cheville : les zones ABCD sont à risque de fracture
Il existe des règles diagnostiques afin de diminuer la pratique des radiographies systématiques de la cheville dans les entorses pures. Les consultations aux urgences pour ce motif étant particulièrement nombreuses, l’impact économique n’est pas nul. Les critères d’Ottawa ont ainsi été validés pour les adultes entre 18 et 55 ans : si une douleur lors de l’examen clinique sur un des points A, B, C ou D de la région périmalléolaire (rose pâle), la radiographie (cheville ou pied) est indiquée pour rechercher une fracture (malléole péronière, base de 5ème métatarsien, naviculaire, malléole tibiale) ou si le patient est incapable de faire 4 pas complets tout de suite après le traumatisme et lors du passage aux urgences. Curieusement pas de consignes vis à vis du talus astragale ou de la partie antérieure du calcanéum or ils sont dans la zone immédiatement à proximité de la malléole péronière. Ottawa conseille également de reconsulter précocément à 5 jours si la douleur est toujours là, ce conseil par prudence incite il les gens à plus consulter ou pas spécialement ? Parce que du coup l’économie sur la pratique de radios s’il y a une nouvelle consultation … Bref personnellement j’ai tendance à faire quelques entorses (oh oh oh) aux critères d’Ottawa et d’avoir la radiographie facile, notamment au bord interne parce que les entorses médiales ne sont quand même vraiment pas fréquentes.
En fait Ottawa c’est bien, mais c’est bien théoriquement, et retenir 36 scores en médecine finit par être lassant. L’association des zones à risque (sur le diagramme) + le contexte (adulte jeune, arrive à marcher) a cependant une très bonne sensibilité et il y a donc peu de faux négatifs. Même si ces règles ne couvrent pas la fracture du corps de l’astragale, ce qui est quand même embêtant : pour relativiser, cette fracture est quand même assez rare et la radiographie standard classique peut très facilement ne pas la mettre en évidence à cause de la superposition de la malléole péronière.
Au final je pense qu’il faut réaliser une radiographie standard dans toute cheville assez volumineuse post-traumatique, encore plus en cas de boîterie manifeste. Il est évident que ça ne vaut pas pour la cheville qui est restée fine, symétrique à l’autre, mais où le sujet un peu inquiet n’ose pas poser le pied par terre. Dans ces cas là la radiographie n’a qu’un effet de réassurance sur le patient, qu’on peut évidemment critiquer.
Dans les autres cas on réalisera une radiographie de face et de profil (éventuellement de 3/4), le plus rapidement possible en cas de signe inquiétant d’emblée (appui impossible, oedème monstrueux). On recherche une fracture, un arrachement osseux, une lésion ostéochondrale du dôme de l’astragale, un diastasis tibio-péronier inférieur.
Secondairement après un temps de repos, on pourra tester par des clichés en varus forcé, la stabilité de l’articulation. C’est un examen assez douloureux, pas très pratique, il a tendance à être nettement moins demandé au profit d’imagerie plus sophistiquée (scanner et IRM). Les autres examens ne sont jamais très urgents et visent les diagnostics d’élimination (ou les séquelles).
Le diagnostic différentiel comporte les autres lésions ligamentaires distales du membre inférieur : entorses du medio pied de l’articulation de Lisfranc principalement, ainsi que les arrachements osseux du pied (astragale, calcanéum), fractures de base du 5ème métatarsien, et les fractures distales de la malléole péronière. Les ruptures du tendon d’Achille ont une présentation bien spécifique et si le motif initial est une « entorse », le diagnostic est corrigé rapidement.
L’entorse tibio-péronière inférieure est un peu à part de la classique entorse du ligament latéral externe. La douleur est plus haute, le mécanisme a été une hyperflexion plantaire ou dorsale de la cheville +/- associée à une rotation externe. La distinction avec une entorse classique peut être difficile s’il y a beaucoup d’oedème, généralement l’appui est très douloureux surtout en accentuant le déroulé de la flexion/extension. La radiographie dans les formes sévères peut montrer un arrachement osseux au tubercule de Tillaux-Chaput sur le tibia et surtout mais c’est assez rare un diastasis tibio-péronier inférieur. Elle pourrait bénéficier de l’évaluation rapide échographique pour adapter le traitement dès le départ.
Le traitement idéal à mettre en place aussitôt (et qui n’est possible que quand le risque est calculé, exemple compétition sportive), est un traitement BREF : bandage, repos, élévation du membre, application de froid. Il cherche à combattre l’oedème et ménager l’articulation dans les premiers temps.
Le traitement à apporter après dépend de la sévérité de l’entorse.
Les entorses bénignes guérissent rapidement et on peut proposer un strapping, ou le porte d’une orthèse fonctionnelle de protection de l’articulation en autorisant la marche. La reprise des sports se fera progressivement.
Les entorses graves doivent être immobilisées (comme une fracture non déplacée de la malléole péronière) par une botte pédieuse en plâtre ou résine pour un délai de 4 à 6 semaines et de préférence sans appui (ce qui implique de prescrire des anticoagulants héparine de bas poids moléculaire à dose préventive pour éviter une phlébite).
Certaines entorses graves peuvent bénéficier d’une chirurgie de suture du ligament latéral externe « à chaud » comme chez les sportifs de haut niveau.
Les entorses de gravité intermédiaire peuvent être traitées de manière orthopédique comme précédemment ou fonctionnelle par orthèse. Tout dépends de la profession, de la pratique sportive, de l’âge ou du sérieux du patient. Elles consolident théoriquement plus rapidement que les entorses graves mais de ce fait sont parfois plus négligées par le patient lui même et c’est dans ces circonstances qu’on voit le plus de séquelles.
L’attitude la plus raisonnable semble être une immobilisation à but antalgique pour 1 à 2 semaines, et réévaluer le patient à ce moment là pour poursuivre l’immobilisation orthopédique ou passer à un traitement fonctionnel par orthèse (et redresser des diagnostics différentiels difficiles comme la fracture ostéochondrale du dôme de l’astragale).
L’entorse tibio-péronière inférieure (sauf cas d’entorse bénigne avec simple distension ligamentaire qui peut être traitée de manière fonctionnelle) ne bénéficie pas de la conservation de mouvement en flexion/extension. Dès le stade intermédiaire elle doit être immobilisée dans une plâtre ou une résine pour 6 semaines. Les formes graves avec diastasis ou fragment osseux sont à opérer.
Les séquelles des entorses de cheville ne sont pas rares, et leur prise en charge est souvent longue et complexe avec une récupération à long terme assez aléatoire.
Sarragaglia D, Traumatologie à l’usage de l’urgentiste, Sauramps
L’entorse de la cheville au service des urgences , actualisation 2004 de la conférence de 1995 SFMU
L’entorse de la cheville, Le généraliste, février 2012
Anterior talofibular ligament injury , anterior talofibular ligament injury with avulsed bone fragment , anterior talofibular ligament rupture , medial and lateralligamentous injuries of the ankle , ankle radiography checklist , Radiopaedia
Anatomy of the ankle ligaments: a pictorial essay
Traitement par ultrasons dans les entorses aiguës de la cheville , revue Cochrane
Entorse de cheville à l’urgence, comment ne pas tomber dans le piège , Ottawa échographique de la cheville, présentation Slideshare
Ankle sprains , Life in the fast lane
Pubmed :
Rehabilitation of the Ankle After Acute Sprain or Chronic Instability
Lateral and syndesmotic ankle sprain injuries: a narrative literature review
Rehabilitation of Syndesmotic (High) Ankle Sprains
Accuracy of Ottawa ankle rules to exclude fractures of the ankle and mid-foot: systematic review et Ottawa ankle rules for the injured ankle
Radiological evaluation of a high ankle sprain
et une étude passionnante … en Australie, sur le fait que les femmes portant des talons hauts étaient plus à risque de se présenter aux urgences le week end avec des lésions du pied et de la cheville, même si au final l’article ne conclut à rien :