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Régime méditerranéen et prévention cardiovasculaire

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ratatouille. le plat. pas le film

Le New England Journal of Medecine a publié un article original sur le régime méditerranéen. Après quelques remous médiatiques récents sur les statines (plus modestes que pour les pilules contraceptives), forcément j’ai eu l’oeil plus attiré vers cet article qu’un autre, d’autant plus qu’il est en accès libre.

L’idée était de montrer qu’utiliser un régime alimentaire adapté peut réduire le nombre d’évènements cardiovasculaires. Ce régime c’est ce qu’on appelle le régime méditerranéen (ou régime crétois) basé sur une alimentation riche en fruits, légumes, céréales, noix, huile d’olive, assez riche mais limitée en poissons et pauvre en viandes et produits laitiers. Ce régime n’est pas stéréotypé puisque ce sont des habitudes alimentaires observées autour de la Méditerranée, il n’y en a donc pas qu’un seul. Ce qui est un premier biais à la construction d’une étude scientifique sur le sujet. Il y a d’ailleurs de nombreux biais par le fait d’études d’observation.

Des théories qui existent à l’heure actuelle, il en reste que ce régime serait au mieux efficace modestement, au pire pas nocif, pour la santé, en particulier vis à vis des maladies cardiovasculaires et de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson mais également d’autres situations pathologiques (je le met au conditionnel pour les 3 dernières situations évoquées parce que je n’ai aucune idée des mécanismes). C’est donc un régime qu’on peut conseiller à des patients qui ont subi «quelque chose», en tous cas au niveau cardiaque ou vasculaire avec d’autres éléments de prudence (activité physique, surveillance régulière). En tous cas, «ça ne peut pas faire de mal».

L’étude en question, en Espagne, a recruté plus de 7000 personnes qui n’avaient pas d’antécédents cardiovasculaires mais des facteurs de risque et les a assigné dans plusieurs groupes : 2 groupes avec régime méditerranéen (1 plus axé huile d’olive extra vierge, 1 plus axé noix) et 1 groupe témoin. A priori l’adhésion des participants a été bonne (ce qui aurait pu constituer un biais important).

Les résultats : pour les personnes à haut risque cardiovasculaire, les ratio étaient de 0,70 [IC 95% : 0,54 – 0,92] et 0,72 [IC 95% : 0,54 – 0,96] pour les groupes cas par rapport aux témoins. Conclusion logique des auteurs, le régime méditerranéen permet de diminuer l’incidence des évènements cardiovasculaires majeurs.

Et là il y a quelques problèmes.

On a sélectionné des personnes non malades mais qui pourraient l’être. On est à cheval entre la nutrition et la médecine, et c’est souvent casse-gueule. Les participants avaient les facteurs de risque cardiovasculaires suivant : soit un diabète de type 2 soit au moins 3 des FDR majeurs (tabac, hypertension artérielle, surpoids ou obésité, LDL cholestérol élevé, HDL cholestérol bas ou antécédent familial de maladie coronarienne). Le choix de cette séparation est discutable, en particulier sur un facteur, certes majeur, comme le tabac mais qui relève de l’environnemental.

Je ne détaille pas l’analyse statistique qui est ennuyeuse et sujette à des batailles de chiffres. Mais si les OR paraissent intéressants, «protecteurs», en chiffres bruts sur presque 5 ans de suivi, cela donne 96 évènements morbides pour le 1er groupe, 83 pour le 2d et 109 pour le groupe de contrôle. C’est bien, mais ce n’est pas miraculeux non plus et ce n’est l’observation que d’un volume de 288 évènements morbides (AVC, syndrome coronarien et mortalité) sur 7000 personnes suivies. Si on observe les détails de sous-groupes, ça devient encore pire, les intervalles de confiance ne sont plus fiables. La classification en « end points » me parait un peu obscure également ou en tous cas réserver la lecture de ce genre d’études à seulement des épidémiologistes, ce qui est dommage. C’est globalement une étude longue, laborieuse pour finalement peu de problématique posée, chiante à lire, ce qui est souvent le cas des études mal faites ou qui n’apportent rien. De beaux écrans de fumée. D’après le postulat de départ (une alimentation saine est bonne pour la santé), il ne devrait pas y en avoir. Sauf si le moteur initial de l’étude n’est pas si innocent que ça.

Cela fait longtemps qu’on vante les bienfaits du régime méditerranéen même avec le «french paradoxe» (basé sur la non-nocivité voire l’effet positif d’une petite quantité de vin par jour et de certaines viandes et poissons dits grass mais pauvres en LDL cholestérol et riches en fameux oméga 3). Pourquoi (hormis une publication) refaire une étude dessus. On se doute bien que ce régime alimentaire n’est pas mauvais pour la santé, pour autant s’acharner à essayer de prouver qu’une alimentation équilibrée est efficace pour réduire l’incidence d’évènements cardiovasculaires, n’est ce pas un peu perdre du temps et de l’argent au détriment d’autres études de maladies et de médicaments. Cette étude ne répond pas à la question de pratique clinique « doit on utiliser un médicament de prévention cardiovasculaire ou adopter des attitudes non pharmacologiques rigoureuses ». C’est tout à fait possible que la 2de option soit aussi voire plus efficace que la première, mais en prévention primaire. En prévention secondaire, ça ne suffira pas (d’accord ce n’est pas l’objet de l’article) : il faut utiliser toutes les armes disponibles pour empêcher une récidive. Il faut aussi tenir compte de la réalité des situations au quotidien : avec des « bons conseils » diététiques on a déjà le plus grand mal à traiter les patients, alors des personnes qui ne se sentent (logiquement) pas malades, je ne sais pas ce que ça peut donner.

L’idée sous l’article était de mettre en avant le régime crétois, sans doute pour un jour le confronter directement aux médicaments (ce qui aurait été plus délicat mais sans doute plus courageux). Avec toutes les idées derrière, c’est à dire une alimentation donc une vie plus saine, bien meilleurs que des médicaments de nutrition et de prévention. Donc a priori plutôt de l’anti-lobby pharmaceutique.

Et là, quand on regarde les déclarations de conflits d’intérêts des auteurs, c’est le drame : institut de recherche sur le vin et la nutrition, fondation pour la recherche sur l’alcool, et aussi grands laboratoires pharmaceutiques … Ca fait beaucoup relativiser le texte de l’étude. Je ne suis pas un acharné fanatique de la lutte contre les conflits d’intérêts parce que je sais très bien qu’il n’est pas possible d’avoir des experts de qualité totalement indépendants. Mais sur ce genre d’études, ça fait franchement désordre.

Estruch R, Ros E, Salas-Salvadó J, Covas MI, D Pharm, Corella D, Arós F, Gómez-Gracia E, Ruiz-Gutiérrez V, Fiol M, Lapetra J, Lamuela-Raventos RM, Serra-Majem L, Pintó X, Basora J, Muñoz MA, Sorlí JV, Martínez JA, Martínez-González MA; the PREDIMED Study Investigators. Primary Prevention of Cardiovascular Disease with a Mediterranean Diet. N Engl J Med. 2013 Feb 25. [Epub ahead of print] PubMed PMID: 23432189.

http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1200303

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2 commentaires sur “Régime méditerranéen et prévention cardiovasculaire

  1. Cossino
    1 mars 2013

    Bonjour

    Merci pour cette analyse intéressante .
    Je suis globalement d’accord avec vous .
    Ce genre d’étude n’apporte pas grand chose .

    Le régime crétois ou méditerranéen a prouvé son utilité sur la prévention cardiovasculaire par l’étude de population .
    Comment imaginer comparer un adulte de 60 ans qui toute sa vie a suivi un régime méditerranéen et un adulte de 60 ans qui pendant 55 ans a eu une hygiène de vie déplorable et pendant 5 ans un régime « protecteur » .
    Il n’est pas surprenant que l’on ne découvre pas de « miracle » .
    Quand pendant 55 ans , tout a été fait pour « abimer » le corps , ce n’est pas en 5 ans d’une alimentation « au top » que l’on pourra redonner un « corps tout neuf »

    De là à savoir si les médicaments font mieux , cela n’est pas sur .
    Ce qui est sur par contre c’est que les médicaments ont des effets secondaires parfois grave . Alors  » Primum non nocere  » ?

    • thoracotomie
      1 mars 2013

      Je pense que le NEJM (qui est une bonne revue fiable il n’y a pas de discussion) a fait un coup médiatique en sachant que ça ferait débat. L’article est en accès libre pour ça. Sur le site les commentaires le prouvent.
      Et sur le plan des effets secondaires, oui et c’est d’autant plus dur à supporter pour des médicaments de prévention. On se souviendra de la campagne de pub pour la cerivastatine avec Gérard Depardieu … avant son retrait pur et simple pour cause de rhabdomyolyses sous traitement.

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Cette entrée a été publiée le 28 février 2013 par dans Actualités, et est taguée , , .

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