thoracotomie

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« La pourriture d’hôpital », la gangrène nosocomiale

la pourriture d'hôpitalAvant la découverte de l’asepsie et de l’antisepsie, la pratique hospitalière est grevée d’une lourde mortalité, directe (choc septique, tétanos, botulisme de plaies), mais aussi indirecte, des infections chronique ou laissant des séquelles (ostéomyélite, …) entrainant une infirmité qui compromettait l’espérance de vie des malades.

En dehors des établissements, on peut penser que les germes rencontrés sont de nature communautaire, «naïfs» d’antibiotiques qui n’existent pas encore ou en tous cas pas sous forme préparée magistrale. Les résistances sont donc naturelles et non par sélection.
L’avènement des premières structures de soins, le regroupement des malades mais surtout le développement d’antibiotiques, sulfamides et pénicillines va amener progressivement une sélection de ces germes sur le mode multi-résistant.

Mais avant l’ère des antibiotiques, il n’y a pas forcément besoin de germes de compétition, SARM, ERV et autres BMR dans les infections nosocomiales, puisque des germes très basiques n’ont pas d’opposants pour gangréner les plaies.
Les soins sont cantonnés aux irrigations de plaies et aux pansements dans les meilleurs cas, aux applications de divers onguents et cataplasmes folkloriques dans les pires.

Des surinfections de plaies arrivent fréquemment dans les centres de soins, on les impute à la «pourriture d’hôpital». Appelée aussi mal d’hôpital, gangrène d’hôpital ou gangrène nosocomiale, dégénérescence putride, ulcère gangréneux des plaies, typhus traumatique, diphtérie des plaies …

Il est plausible que les civilisations antiques, ignorantes des antibiotiques elles aussi, lorsqu’elles pratiquaient dans les dispensaires, aient été confrontées aux mêmes problèmes mais en proportion beaucoup plus faible, du fait d’un maniement des antiseptiques naturels (par exemple l’apithérapie avec l’application de miel sur des plaies infectées), ou de précautions dans l’isolement de certains malades avec plus de bon sens que les hôpitaux européens du XVIIIe et XIXe.
L’histoire dramatique de Semmelweis est assez parlante à ce sujet.

La pourriture d’hôpital est donc la transformation des plaies sous forme de ramollissement avec exsudation pseudo-membraneuse et ulcérations des parties sous-jacentes.
Le terme, très morbide, est employé de façon dramatique pour souligner que l’hôpital entraine parfois plus de problèmes que de soulagements aux malades.

Elle est connue depuis l’antiquité chez Galien, ulcera putrida et depascentia (ulcère putride et dévorant), et dans le monde arabe chez Avicenne, Rhazès et Aboulcassis.
Guy de Chauliac, au Moyen-Âge, la mentionne dans son traité de grande chirurgie. Ambroise Paré, à la Renaissance, l’évoque dans son ouvrage La manière de traiter les plaies faites tant par arquebuse que flèches… : «Les navrés estoient très difficiles à guérir et souvent mouroyent de fort petites playes. Elles étaient si pourries et si puantes qu’il en sortait une féteur cadavéreuse».

Jusqu’au XVIIIème elle est endémique dans les hôpitaux, mais c’est en 1783 que Claude Pouteau la décrit précisément, lui-même en ayant été victime alors étudiant à l’Hôtel-Dieu de Lyon. D’autres noms sont associés à sa description comme celui de Dussaussoy.
Elle est rencontrée dans des hôpitaux surchargés de malades, notamment les blessés de guerre. Ainsi en 1814, à Montpellier avec l’arrivée des blessés venant d’Espagne, puis dans les guerres de Crimée etpendant la guerre de 1870.
Elle est fréquente dans les hôpitaux insalubres mais avant tout dès qu’il y a une grande concentration de malades, entrainant un débordement chez les soignants et une réduction des précautions d’hygiène. Elle sera souvent liée aux afflux de blessés et à la médecine de guerre.
Beaucoup de cas sont décrits à l’arrivée des blessés, traduisant le fait que l’infection n’est pas toujours intrinsèque à l’hôpital mais portée par les convois armés.
D’autres infections facilement transmissibles coexistent, sans la favoriser directement mais accentuent sa morbi-mortalité : diphtérie, variole, scarlatine, dysenterie, fièvre puerpérale. Les armées napoléoniennes ayant été souvent décimées par le typhus, il n’est pas surprenant que ce nom soit directement associé à cette affection.

L’été facilite l’endiguement de cette affection par temps sec où l’aération est facile. Toutes les plaies peuvent être touchées avec une préférence pour les grands délabrements et surtout les plaies contuses, profondes, anfractueuses. Enfin les blessés fragiles, affaiblis, dénutris sont sa cible privilégiée.

Plusieurs formes cliniques sont identifiées, mais deux d’entre elles se détachent.
La première, ulcéreuse, à fond grisâtre, a une évolution souvent favorable en moins de quinze jours. Parfois en situation épidémique, une septicémie survient ou une greffe plus virulente en érysipèle.
La seconde, pulpeuse, est plus fréquente et plus grave, plus brutale. De fausses membranes apparaissent rapidement sur une plaie grise et envahissent les tissus voisins. La nécrose survient, brunit les tissus et l’odeur fétide se dégage. Le mal s’attaque aux tissus voisins, gangrène le tout, provoque hémorragies, ronge les muscles et les os et aboutissent parfois à l’amputation spontanée. La mort survient après un état de choc.

Quand l’isolement du malade, l’aération de la chambre, le lavage de la plaie au perchlorure de fer ou à l’acide phénique sont pratiqués, l’amélioration est possible.
Ces plaies étant très douloureuses, l’emploi de narcotiques et d’analgésiques est systématique, les pansements souillés sont brûlés.

Dupuytren avoue dans les Leçons orales de clinique chirurgicale faites à l’Hôtel-Dieu de Paris : «la pourriture d’hôpital est une lésion particulière dont la définition est très difficile à donner. Celle-ci ne peut même consister que dans l’exposé de ses symptômes : c’est une espèce de gangrène humide qui attaque les plaies, et principalement les plaies qui résultent de coups de feu».

Zola l’évoque dans La débâcle : «C’était l’ambulance tombée à la pourriture d’hôpital, sentant la fièvre et la mort, toute moite des lentes convalescences des agonies interminables».

Au vu des connaissances bactériologiques actuelles, la pourriture d’hôpital est donc d’une infection nosocomiale, au sens, acquise à l’hôpital, bien que l’agent pathogène ne soit pas forcément interne à l’hôpital mais apporté par le blessé. Cette infection n’est pas dûe à un microbe présentant de nombreuses résistances, puisqu’aucune sélection chimique n’est réalisée dans le soin.
Il est difficile d’incriminer un seul germe. La présence des membranes évoque à l’époque une diphtérie des plaies. Les corynébactéries sont tout à fait crédibles mais il est plus probale qu’il s’agisse d’infection polymicrobienne, cocci, bacilles Gram négatif, anaérobies, … à l’image des plaies souillées de guerre actuelles (gangrènes clostridiales et non clostridiales, myosites, …).
Néanmoins la décoloration des plaies qui deviennent ternes, l’enduit blanc-grisâtre et surtout l’odeur font penser à des infections à Pseudomonas aeruginosa, bacille pyocyanique.

Une autre affection qui complique les plaies, est décrite au XVIIIème comme érysipèle chirurgical. Proche de l’érysipèle médical que nous connaissons, elle fait suite à une plaie, traumatique, opératoire ou une brûlure. Une fièvre élevée, des frissons, un syndrome général apparaissent vite, puis le syndrome très inflammatoire localement se développe au pourtour de la plaie. L’évolution se fait vers la profondeur en phlegmon ou décline lentement pour finir par guérir.
De nombreux aspects sont décrits : bulleux, phlycthénoïde, oedémateux, phlegmoneux, gangréneux, typhoïde.
Le traitement est pauvre, isolement, application de pansements imprégnés de topiques. La mortalité ne survient que pour les formes à extension septicémique. Abcès métastatiques, pleurésies, arthrites ne sont pas rares.
A quoi rapporter cet érysipèle chirurgical ? à une origine streptococcique ou staphylococcique, en dermo-hypodermite quand elle évolue bien malgré le pouvoir d’essaimage septique, peut être à une fasciite nécrosante quand l’évolution est rapide et fatale.

Ces descriptions à une époque où aucun médicament n’est reconnu comme réellement efficace et où l’écologie microbienne était différente, avec des germes communautaires qui ne trouvaient pas de freins (et donc des germes nosocomiaux minoritaires), sont sans doute très (trop) détaillées et d’un intérêt seulement historique.

Pendant les guerres napoléoniennes, Larrey fera la distinction entre les plaies suintantes et celles restant curieusement sèches mais développant les accidents neurologiques du tétanos. Ne disposant ni d’antibiotiques, de vaccination ou de sérum antitétanique, il ne pourra que dispenser des soins locaux aux plaies de ses blessés.

Références

Hygiène et médecine – Histoire et actualité des maladies nosocomiales, Jean-Marie Galmiche, éditions Louis Pariente

Etude clinique sur la pourriture d’hôpital ou typhus des plaies, Michel-Jules Marmy (sur Gallica)

Recherches sur la pourriture d’hôpital, Edmond Wolff (lisible sur Gallica)

Leçons orales de clinique chirurgicale, Dupuytren

La référence à Zola et d’autres informations sur Le portique, revue de philosophie et sciences humaines

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